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nature à disparaître si promptement : aussi des prorogations successives en prolongèrent-elles l’application jusqu’à une époque très postérieure au rétablissement de la paix. Pendant près de trente ans, la banque continua à faire ses paiemens en billets ; ses billets furent presque pour l’Angleterre l’unique agent de la circulation monétaire, et l’or devint une marchandise dont le prix finit par dépasser de près d’un quart la valeur du papier. Cette situation étrange préparait de grands embarras pour l’époque où il faudrait rentrer dans la voie normale ; mais l’Angleterre échappa à la banqueroute, son crédit s’affermit au milieu de ces terribles épreuves, et, au moment où toutes ses ressources semblaient épuisées, elle acquit ainsi les moyens de faire bientôt de nouveaux sacrifices, auprès desquels tous ceux qu’elle avait faits jusqu’alors devaient paraître presque insignifians. La combinaison hardie conçue par le génie de Pitt ne pouvait réussir que chez une nation douée d’un esprit public aussi puissant et d’une aussi grande confiance dans ses propres forces ; partout ailleurs, elle eût précipité la catastrophe qu’on voulait prévenir.

On n’était pas encore sorti de cette crise que déjà un autre danger plus menaçant encore, s’il est possible, venait appeler toute la sollicitude du pouvoir et du parlement. La marine, ce boulevart de la Grande-Bretagne, était depuis quelque temps en proie à une assez vive fermentation. Les excitations des clubs révolutionnaires, favorisées par les habitudes d’indiscipline que quelques commandans avaient laissé pénétrer dans leurs équipages, en étaient sans doute la cause déterminante ; mais les agitateurs trouvèrent un moyen de succès dans le mécontentement qu’inspirait aux matelots l’insuffisance de la solde et des vivres. Depuis quelque temps déjà lord Howe, le plus illustre des amiraux anglais, avait reçu un grand nombre de lettres anonymes, d’une rédaction uniforme, dans lesquelles on le pressait d’employer son influence à obtenir la réparation de ces griefs. Ce symptôme avait fait naître quelques inquiétudes ; cependant, comme aucun autre indice ne semblait s’y rattacher, on s’était bientôt rassuré. On ne savait pas que dans l’escadre du canal de la Manche, alors en station à Portsmouth, une correspondance secrète s’était établie entre les équipages des divers bâtimens, et qu’on était convenu d’empêcher qu’aucun de ces bâtimens ne reprît la mer jusqu’à ce que les satisfactions auxquelles on croyait avoir droit eussent été accordées. Le 15 avril, lorsque l’amiral lord Bridport donna le signal du départ, l’équipage de son propre vaisseau, au lieu de lever l’ancre, fit entendre trois acclamations ; ceux des autres vaisseaux y répondirent par des acclamations