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En Irlande, l’agitation des esprits prenait de jour en jour un caractère plus alarmant, et un incident singulier y jeta bientôt de nouveaux fermens de dissensions. Le comte de Fitzwilliam, un des nouveaux membres du cabinet, venait d’être envoyé à Dublin, en qualité de lord lieutenant. Comme les autres amis de Burke, en se ralliant au gouvernement contre les révolutionnaires, il en était resté séparé sur une question importante, celle de l’émancipation des catholiques, qui un peu oubliée alors en Angleterre, absorbait depuis long-temps en Irlande toutes les préoccupations. Doué d’un esprit généreux et d’une grande libéralité de sentimens, il crut que le meilleur moyen de rattacher fortement ce pays à l’empire britannique et d’y enlever aux agitateurs leurs plus puissans auxiliaires, c’était de satisfaire au vœu de la portion la plus nombreuse de la population. On le vit, aussitôt après son arrivée, s’entourer des hommes les plus influens de l’opposition, tels que Grattan et Ponsonby, et écarter au contraire le parti des Beresford, sur lequel l’administration s’était jusqu’alors appuyée. Une adresse du parlement irlandais, conçue dans les termes d’une vive satisfaction, et le vote immédiat des subsides les plus considérables que le pays eût jamais accordés, attestèrent bientôt la popularité du lord lieutenant ; mais cette popularité, il la devait surtout à l’engagement qu’il avait pris d’appuyer un bill proposé par Grattan pour lever toutes les restrictions qui pesaient encore sur les catholiques. Le ministère refusa de sanctionner cet engagement. Lord Fitzwilliam donna sa démission, et eut pour successeur lord Camden, fils de l’ancien chancelier, dont les principes étaient, sur l’objet de ce débat, complètement opposés aux siens. Tout changea aussitôt de face. L’administration rentra dans ses anciens erremens ; par son influence, le bill de Grattan fut rejeté à une grande majorité, et une extrême exaspération se manifesta dans les classes populaires, composées surtout de catholiques. Les moyens de rigueur auxquels on eut recours pour la contenir, le déploiement de la force militaire, la suspension de la liberté individuelle, la presse maritime exercée sur tous les hommes qu’on trouvait la nuit hors de leur domicile, d’autres mesures non moins excessives, ne firent qu’accroître l’irritation publique. Les sociétés révolutionnaires, qui rêvaient l’établissement d’une république avec le secours de la France, qui déjà étaient secrètement en relation avec le gouvernement français et pour qui les catholiques étaient d’aveugles instrumens, prirent plus de consistance. Les protestans, de leur côté, moins nombreux, mais plus riches, plus éclairés, inquiets pour le maintien de leur suprématie et même pour leur sûreté