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l’opinion de Wilberforce. Windham prit la parole pour la combattre la paix, suivant lui, alors même qu’elle aurait été possible, eût été plus funeste que la guerre, parce qu’elle aurait donné aux Français plus de facilités pour inoculer au peuple anglais leurs funestes doctrines. Pitt tint un langage moins absolu. Il nia que le projet d’adresse subordonnât absolument la fin de la guerre au fait d’une contre-révolution en France ; mais il ne dissimula pas que, dans sa manière de voir, la paix ne pouvait être assurée tant que la France ne serait pas redevenue une monarchie. Il repoussa avec vivacité une proposition qui lui paraissait pusillanime et inconséquente. Il se refusa à voir, dans les hommes qui avaient succédé à la puissance de Robespierre, un gouvernement mieux fait pour inspirer de la confiance et offrir des garanties. Il affirma que, si le régime de la terreur était un peu mitigé à Paris, au fond rien n’était changé, que les principes étaient restés les mêmes, que Tallien était maintenant ce que Robespierre avait été avant lui et Brissot avant Robespierre, un ennemi acharné de l’Angleterre, seule capable de faire échouer leurs plans de bouleversement, et qu’avec de tels hommes la paix ne serait autre chose qu’une trêve qui affaiblirait la Grande-Bretagne en la séparant de ses alliés. Il répéta enfin que les ressources de la France étaient épuisées et qu’un peu de persévérance suffirait pour en avoir raison. Fox appuya la proposition de Wilberforce, mais déclara que, pour son compte, il ne s’en tiendrait pas là, qu’il réclamerait une enquête sur les causes de la déplorable lutte dans laquelle l’Angleterre avait été engagée contre ses intérêts, et qu’il demanderait aussi des mesures efficaces pour rendre désormais impossible le retour de pareilles calamités, dues, comme jadis la guerre d’Amérique, à l’influence d’un parti de la cour, ennemi de la liberté, et à l’égoïsme cruel d’un ministère indifférent aux souffrances du peuple. L’amendement fut rejeté à la majorité de 246 voix contre 73.

Quelque faible que fût la minorité, elle était presque double de celle qui, depuis trois ans, contrariait seule, dans la chambre des communes, l’action du ministère. Ce symptôme était grave. Pitt en fut très affecté. Il le fut surtout beaucoup de voir son ami Wilberforce se ranger, dans une question aussi importante, parmi ses adversaires. Wilberforce, de son côté, n’était guère moins ému. Il avait accompli un devoir pénible. Dans son admirable délicatesse, il craignait que l’opposition, reconnaissante de cet appui inattendu, ne voulût lui en payer le prix en popularité, et, pour échapper à ce singulier péril, il eut soin de proclamer plus que jamais son attachement à l’ensemble