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ou un dithyrambe. Peut-être M. Victor Hugo, en donnant au livre qu’il a intitulé le Rhin la forme de lettres à un ami, n’a-t-il pas assez songé aux conditions d’un genre si nouveau pour lui. Comment pliera-t-il sa solennelle et lyrique nature à la simplicité d’un entretien amical ? M. Hugo nous apprend dans sa préface que toutes les fois qu’il quitte Paris, il y laisse un ami profond et cher qui réclame de longues lettres de l’ami absent, et ces lettres, l’ami absent les écrit. C’est ainsi que depuis douze ans il a écrit force lettres sur la France, la Belgique, la Suisse., l’Océan et la Méditerranée, et il les a oubliées. Quand il visita les bords du Rhin, nouvelle correspondance qu’il allait également laisser en oubli, sans le traité du 15 juillet 1840. Nous voilà en pleine politique. Dans l’été de 1840, la question du Rhin préoccupa vivement les esprits ; alors M. Victor Hugo se rappela que lui aussi, dans sa course sur le Rhin, il avait songé à ce problème, et que même il avait cru en entrevoir la solution. Aussitôt il conçut le dessein de communiquer a son pays ses pensées sur un objet si capital, et il écrivit les pages qui sous le titre de conclusion terminent aujourd’hui son livre. Au moment de les publier, M. Hugo fut pris d’un scrupule. Le public à qui il allait livrer ces pages isolées ignorerait donc que celui qui les avait écrites avait vu le Rhin pour lui-même et en lui-même ! Le public ne serait-il pas dérouté ? La confiance ne serait-elle pas diminuée ? Ceci sembla grave à l’auteur. C’est en raison de cette gravité qu’il s’est déterminé à mettre au jour les lettres qu’il avait adressées à l’ami profond, et il les publie telles à peu près qu’elles ont été écrites. Quand un homme comme M. Victor Hugo explique au lecteur l’origine d’un de ses livres, il a le droit d’être cru sur parole. Il pouvait se dispenser d’offrir aux curieux les pièces de son journal, de voyages authentiquement timbrées et datées par la poste. Le Rhin nous présente donc un fragment de la correspondance intime du poète.

Tant mieux. Ce sera pour nous une occasion excellente et nouvelle d’étudier la formation et le mécanisme de sa pensée. L’écrivain ne se défiera pas du lecteur ; il correspond avec un ami. Nous verrons si, dans la familiarité d’une lettre, il montrera cette agilité, cette souplesse d’esprit si nécessaires à celui qui prétend saisir toutes les faces, tous les rapports des choses. Pour commencer par une des qualités les plus précieuses dans une correspondance, dans une conversation, M. Hugo a-t-il de l’enjouement ? Rendons-lui d’abord cette justice, qu’il veut en avoir. Le voyage, la variété des objets qu’une course rapide fait passer sous ses yeux, inspirent à notre poète une gaieté si réelle que parfois on pourrait la trouver un peu grosse. La plaisanterie de