Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/837

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

génie de Voltaire ne s’est pas d’abord répandu en expansions lyriques qu’il a pu, avec une merveilleuse souplesse, se développer dans les autres parties de l’art et de la pensée ? Voltaire règne au théâtre à l’âge où M. Hugo a fait ses odes, il excelle dès ses débuts dans la poésie légère et dans la prose, comprend Newton et se prépare à écrire l’histoire. Or l’enthousiasme qui produit les beautés lyriques est d’ordinaire peu compatible avec la liberté d’esprit nécessaire pour embrasser des genres opposés. L’enthousiasme enflamme l’intelligence plutôt qu’il ne l’étend. Nous ne connaissons qu’un homme qui sut être universel et lyrique : c’est Goethe. Il dut ce privilège un sens philosophique admirable qui, sans rien ôter à la puissance plastique de l’artiste, lui permettait de tout comprendre et de tout dominer. M. Hugo est loin de cette vigueur d’esprit qui maîtrise les idées et les pénètre. Dans ses odes, il a pris parti pour la foi contre la philosophie : plus tard ses vers nous offrent un écho sonore de quelques idées, de quelques théories modernes ; aujourd’hui il semble que la philosophie ait à redouter encore l’inimitié du poète, car dernièrement il a prononcé ces paroles au sein de l’Académie : « Parce que dans le sombre et inextricable réseau des philosophies inventées par l’homme, vous voyez rayonner çà et là quelques vérités éternelles, gardez-vous d’en conclure quelles ont même origine, et que ces vérités sont nées de ces philosophies. Ce serait l’erreur de gens qui apercevraient les étoiles à travers des arbres, et qui s’imagineraient que ce sont là les fleurs de ces noirs rameaux. » Voilà bien le poète pris sur le fait : au lieu d’idées, il nous donne des images. Ce n’est pas la pensée qui éclaire l’écrivain, c’est l’imagination qui le séduit. Des étoiles et de noires rameaux ! Encore une antithèse. M. Hugo n’y a pas songé : il ne suffit pas d’une saillie de poète pour faire le procès à la raison humaine. Avec plus de réflexion, il se fût refusé cette fantaisie.

Ecrire des lettres familières sur un grand sujet est chose à la fois attrayante et difficile. Quoi de plus séduisant, quoi de plus aisé en apparence que de laisser courir sa plume pour confier à un ami ce que l’on pense ou ce que l’on a senti. Cependant il se trouve que dans la forme épistolaire il n’y a que des écrivains de premier ordre qui aient vraiment excellé, Cicéron, Voltaire, Pascal, Mme de Sévigné. Il offre donc bien des difficultés à vaincre, le genre qui parait accessible à tous. Dans une lettre, vous pouvez, il est vrai, prendre tous les tons ; mais pour cela il faut une plume agile qui entraîne le lecteur sans le fatiguer ni le choquer. Comme vous vous êtes mis avec lui sur le pied d’une conversation familière, vous ne pouvez pas sans transition, sans ménagement, lui imposer d’une manière brusque une dissertation