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beaucoup de verve dans les documens nouveaux dont nous parlons. Comment rester en place ? George II s’était épris d’admiration pour un nommé Compton, la sottise et l’exactitude même ; ces qualités séduisaient le monarque, habitué à ne rien faire que par poids et mesure, et qui entrait chaque soir à neuf heures sonnantes chez sa maîtresse, dit Horace, « ni plus tôt ni plus tard, se promenant dans le corridor, la montre à la main, en attendant que le dernier coup de neuf heures eût sonné. » La reine Caroline, femme supérieure, fut l’instrument employé par le ministre ; Robert Walpole lui avait promis de faire porter par les communes sa liste civile à cent mille livres sterling, au lieu de cinquante. Il réussit ; la reine fut à lui, et comme le roi était à elle, Robert resta maître du royaume. L’intrigue du drame demandait au surplus toute l’habileté de ce Robert qui en était l’auteur et l’acteur. George II, dont son détestable père avait si bien dit : « Il est fougueux, mais il se bat bien, » valait un peu mieux que George Ier ; il avait de la bravoure militaire, un bon sens court, des manières brusques, dures et farouches, et des vices ridicules, entre autres une avarice burlesque, et ce qui le rejetait plus bas encore, c’est qu’il était un peu voleur. Il mit dans sa poche, au grand étonnement du conseil d’état assemblé, le testament de son père, et paya ainsi tous les legs que ce dernier avait jugé à propos de faire. Ce fut son unique solde de compte, à propos de quoi Frédéric-le-Grand lui écrivit « qu’il méritait les galères. » Une rencontre fut arrêtée à ce propos entre les deux monarques ; on eut grand’peine à empêcher cette scène comique, qui eût été l’une des meilleures du siècle.

Il jouait le Lovelace ; amoureux de sa femme, et cachant cet amour, il payait des maîtresses qu’il détestait, et tenait à certains vices de gentilhomme qui, fort inutiles à son bien-être, lui semblaient essentiels à son honneur. Caroline Wilhelmine, très distinguée par le bon sens, la beauté et le caractère, voyait sans crainte ces rivales que George II lui donnait pour sa considération seulement, et afin de ne pas tomber trop au-dessous de Louis XIV et du régent. L’épouse était belle et jolie, spirituelle et fière : les associées illégitimes n’avaient rien de tout cela ; mais, selon l’humeur du roi, le bon ton était satisfait : ce fut, par parenthèse, le type de Destouches dans son Philosophe marié, comédie absurde comme son modèle ; Destouches était notre envoyé près de cette cour. La reine Caroline, dont la santé était faible et le tempérament froid, s’arrangeait de cet état de choses, dominait à la fois sans en avoir l’air le mari et les sultanes, correspondait avec Leibnitz, recevait Newton, s’entretenait avec Clarke, envoyait une pension