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lyrique doit communiquer à l’ame qui la possède des dispositions et des habitudes particulières dont nous aurons, chemin faisant, à signaler quelques conséquences.

Les vrais poètes lyriques sont rares : c’est ce que nous prouve la seule histoire de notre littérature, qui s’est développée pendant trois siècles sans que, parmi nous l’ode ait brillé d’un éclat pur et continu. A l’époque de Ronsard, la langue, pour ainsi parler, n’était pas assez adulte pour suffire, comme il convenait, à l’impétuosité lyrique. Au XVIIe siècle, des strophes admirables de l’auteur d’Athalie nous reproduisent seules la poésie d’Isaïe et de Pindare. Sans doute, il eût été merveilleux qu’à côté de Voltaire nous eussions vu un grand lyrique, mais ce miracle manqua au siècle de l’analyse et de la philosophie. Jean-Baptiste Rousseau, dans ses endroits vraiment châtiés, est utile à lire à qui veut apprendre à écrire en vers ; au fond, il est froid et stérile. Comment s’allumera donc pour nous le feu lyrique ? A la torche des révolutions. Sur les champs de bataille, dans les fêtes nationales, retentissent des accens qu’immortalise la voix du peuple en les répétant mille fois. Cependant le spectacle change, et les chants qu’a suscités la liberté sont bientôt interrompus : ils expirent dans le silence d’admiration et de terreur qu’un homme répand autour de lui ; c’est un conquérant qui travaille pour les poètes à venir, car il fera de sa vie un incomparable mélange de gloire et de malheur. Aussi sur son tombeau la poésie ne tarde pas à paraître ; elle en sort, pour ainsi dire, comme la beauté de l’abîme des mers. Dès que Napoléon n’est plus, de vrais poètes se mettent à chanter, Manzoni, Lamartine, Victor Hugo. Pour eux, le moment est venu ; la mort du héros a fermé le cycle le plus extraordinaire qu’ait encore enfanté l’histoire ; il est temps d’en tirer des chants qui ne meurent pas. Oui, la poésie lyrique est née parmi nous de l’émotion profonde imprimée aux ames par l’histoire contemporaine. Autant aux siècles précédens le lyrisme avait été chez nous rare et pauvre, autant nous l’avons trouvé depuis vingt-cinq ans riche et fécond. Il a même fait irruption dans la prose ; c’est ce que nous avons constaté en parlant ici de l’auteur de Jacques et de Lélia.

De tous nos poètes, celui qui s’est montré le plus puissamment lyrique est M. Victor Hugo. D’autres ont trouvé leur supériorité dans l’élégie ou dans des fragmens d’épopée, mais ils n’ont pas composé l’ode avec la même vigueur, avec le même fini que l’auteur des Fantômes et d’un Chant de fête de Néron. C’est une chose enviable et belle que de savoir enfermer en des strophes harmonieuses un choix de pensées et d’images grandes et fortes ! De cette façon, ce qui n’eut é