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Les jésuites ont trouvé dans M. Berryer un défenseur plus éloquent que convaincu. M. de Lamartine a-t-il voulu les soutenir ? On l’ignore. Quant à M. de Carné, nous regrettons qu’il ait mis au service d’une pareille cause sa loyauté et son talent. M. de Carné croit que la liberté s’égare en repoussant les jésuites. Il voudrait que la révolution de juillet fût plus tolérante et plus confiante. Son erreur est celle d’un esprit trop généreux : nous la respectons. Comment croire que la révolution de juillet mérite le reproche d’intolérance et de timidité vis-à-vis des jésuites, quand on voit la modération avec laquelle M. Thiers l’a défendue ? Quel langage plus digne et plus mesuré que le sien ? que d’impartialité ! M. Thiers a poussé la modération envers tout le monde jusqu’à voiler les fautes du ministère. On aurait pu croire un instant qu’il le protégeait. Mieux que personne, l’illustre rapporteur de la loi sur l’enseignement eût pu montrer les suites funestes de la faiblesse du cabinet dans ses rapports avec le clergé. Il sait que cette faiblesse a causé tout le mal. S’il ne l’a pas dit, c’est qu’il a voulu élever la discussion au-dessus d’un débat ministériel et donner au vote de la chambre le caractère d’une démonstration nationale. Vingt-cinq voix seulement ont protesté contre cette démonstration, et par des motifs différens. Cela peut donner aux jésuites une idée de leur force dans le pays.

Entre les mains d’un ministère habile, jaloux de sa dignité et de ses devoirs, le vote de la chambre pourrait déjà produire des résultats utiles. Appuyé sur l’opinion parlementaire, le gouvernement pourrait tenir au clergé un langage qui serait sérieusement écouté. L’opposition du clergé n’est pas unanime. L’épiscopat lui-même est divisé. Dans cette croisade si follement entreprise contre l’état, tous ne suivent pas la même bannière et ne sont pas animés du même esprit. A côté des fanatiques, il y a les modérés ; à côté de ceux que l’intérêt ou la passion aveuglent, il y a ceux dont la conscience s’inquiète, et qui ont eu la main forcée. Ceux-ci n’auraient jamais passé dans les rangs hostiles, si le gouvernement avait mieux veillé sur eux, s’il les eût avertis à temps, si, au lieu de tout abandonner et de laisser tout faire, il se fût montré prévoyant et ferme, si enfin il eût traité différemment dès l’origine ses adversaires et ses amis. Aujourd’hui, le vote de la chambre doit inspirer des réflexions sérieuses à cette partie du clergé qui n’a pas entièrement méconnu l’autorité de l’état. Le gouvernement doit diriger ses regards de ce côté. Une politique habile pourrait encore désarmer bien des passions.

On a dit que les négociations entamées avec la cour de Rome n’avaient pas réussi, et que ce nouvel échec avait vivement affligé M. le garde-des-sceaux, peu sensible d’ordinaire à ces sortes de choses. M. Martin, dit-on, aurait offert sa démission. Nous ne garantirons pas ce bruit à nos lecteurs. Nous ferons seulement remarquer, en passant, que le ministère du 29 octobre est celui de tous ou l’on a le plus souvent parlé de démissions individuelles. Cela ne prouve pas, à notre sens, une grande intimité entre ses membres. Nous avons vu des ministères où l’on savait mettre en commun la bonne et