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d’Orient, il semble en effet que le meilleur remède serait une combinaison anglo-française à Athènes. Voilà pourquoi M. Guizot a toujours poussé Coletti à se réconcilier avec le protégé de l’Angleterre, Mavrocordato ; voilà pourquoi le cabinet français a fait blâmer sévèrement par ses organes le paragraphe de l’adresse du congrès relatif à l’ex-ministre. Enfin, si une réunion des colettistes et des mavrocordatistes était aussi impossible que de loin elle le paraît, verrait-on le journal le plus spirituel et le plus indépendant d’Athènes, le Συνενωσις (l’Union), pousser de toutes ses forces à cette combinaison ? L’Angleterre paralyse le peuple grec par la crainte qu’elle a de le voir lui disputer bientôt le commerce des côtes orientales de la Méditerranée ; mais, comme le dit très bien M. Duvergier de Hauranne, « à cette crainte il y a un contrepoids : c’est celle de voir la Grèce absorbée par la Russie. Un jour viendra peut-être où cette dernière crainte l’emportera sur l’autre, où ce dernier danger paraîtra plus grave que le premier. Ce jour-là, rien n’empêchera la France d’agir de concert avec l’Angleterre, et la Grèce en profitera. » Qui sait si cette noble espérance n’approche pas de sa réalisation ?

Gardons-nous de confondre avec les intrigues de l’Angleterre l’agitation des patriotes hellènes. L’Angleterre peut trouver son avantage à faire croire en Europe que c’est elle qui soudoie et qui dirige tous les complots insurrectionnels de l’Hellade et des provinces grecques de Turquie. Quant à ces dernières provinces, le fait est dénué de tout fondement, et d’ailleurs, fût-il vrai, ce serait une duperie de la part de la France de condamner ces projets d’affranchissement par le motif que l’Angleterre y est mêlée. Une telle conduite nous enlèverait infailliblement tout le crédit que nous avons su obtenir en Grèce. Non, la France n’a rien à craindre de ce que plusieurs de ses journaux appellent l’excitation fébrile des provinces grecques de Turquie à la voix des mavrocordatistes soldés par l’or anglais. Si cette excitation atteignait son but, qui est l’agrandissement de l’Hellade, nous y gagnerions certes plus que la Grande-Bretagne, et notre influence en Orient ne manquerait pas de recevoir d’une telle révolution une impulsion nouvelle. Le plus grand obstacle à cette heureuse modification du statu quo de la Turquie paraît se trouver dans les convictions personnelles de l’ambassadeur britannique à Athènes, sir Edm. Lyons. Aussi les évènemens qui se préparent feront-ils peser sur cet homme d’état une responsabilité immense.

Le premier diplomate de la Grèce, Mavrocordato, n’a été poussé que par sir E. Lyons dans le dédale d’intrigues et de violences où il s’est perdu. Si durant son ministère il ne s’est pas associé Coletti, c’est parce que sir E. Lyons ne peut souffrir Coletti, et qu’avec l’ambition égoïste propre à ses compatriotes, l’ambassadeur anglais voulait s’assurer une influence exclusive sur le premier ministère constitutionnel d’Athènes, et procurer dans ce pays à la Grande-Bretagne une nouvelle période de domination, analogue à celle que son prédécesseur Dawkins avait déjà su conquérir en 1832, pendant la minorité du roi Othon. Enfin, c’est sir E. Lyons qui a poussé l’ex-ministre à prononcer au congrès de cette année son dernier discours, dont le résultat a été de tracer