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par les puissances étrangères, il résolut de s’emparer lui-même, pour la sauver, de la souveraineté nationale. La société soi-disant russe des Philorthodoxes se réorganisa, et se combina avec le parti insulaire et le parti des idées françaises. Une coalition générale de toutes les nuances politiques du pays s’opéra ; chacun sacrifia ses vues propres au bien de la patrie, et la conspiration qui s’ourdit alors s’étendit à tel point, qu’elle embrassa enfin la nation entière.

Toutes les mesures possibles de sûreté ayant été prises par les conjurés, le 3 septembre 1843, deux heures après minuit, le peuple d’Athènes inonda de ses flots agités toutes les places, et enveloppa le palais de son roi aux cris de vive la constitution ! Dans son indignation, le roi appelle à lui sa garde et ses serviteurs ; eux aussi étaient conjurés, et toute la garnison d’Athènes, artillerie, infanterie et cavalerie, en s’échelonnant devant le palais, poussait les mêmes cris que le peuple. Obligé de céder, le roi paraît à un balcon, et promet au peuple et à l’armée de donner une constitution, après s’être entendu à ce sujet avec les ambassadeurs des trois puissances et avec son conseil d’état. À ces mots, Kalergis, commandant de la garnison, s’avance, déclare au roi que le conseil d’état n’est plus reconnu, et présente l’adresse qui contenait les demandes du pays et la nomination d’un nouveau ministère. En même temps, les ambassadeurs européens, accourus malgré l’obscurité de la nuit, insistent pour être introduits auprès d’Othon ; le peuple leur répond par un refus, et déclare que le roi a cessé de régner, s’il n’accepte pas les demandes contenues dans l’adresse. Othon, après les avoir lues, a le noble courage de les accepter ; il accueille dans son palais les nouveaux ministres signataires de l’adresse, et se présente avec eux au peuple ivre de joie, qui salue par des zito sans fin son roi constitutionnel. Trois heures après midi, toutes les troupes rentraient, musique sonnante, dans leurs casernes : une des révolutions les plus belles de l’histoire, puisqu’elle n’avait pas coûté une goutte de sang, se trouvait consommée.

On croit généralement que trois factions divisent la Grèce : l’une, ayant pour chef Mavrocordato, voudrait, dit-on, la république sous la garantie de l’Angleterre ; la seconde, sous Metaxas, préférerait à toute autre alliance celle de la Russie ; la troisième nuance constitutionnelle, représentée par Coletti, voudrait l’appui de la France. Pour qui a vécu chez les Grecs, il est clair que ces trois partis ne sont que trois couleurs d’un même patriotisme. Ce n’est donc point, comme l’ont prétendu nos journaux, le parti français qui, dans la journée de septembre, a triomphé des deux partis anglais et russe : ce sont bien plutôt les trois partis réunis qui ont atteint ensemble le but auquel tous tendent également, l’indépendance absolue de leur pays. En effet, les alternatives de faveur et de disgrace dont jouissent les agens de France, d’Angleterre et de Russie à la cour d’Athènes, viennent uniquement de ce que les patriotes grecs, dans leurs efforts pour réhabiliter leur patrie, croient pouvoir employer plus avantageusement, tantôt les uns, tantôt les autres. De là vient que l’Angleterre, qui semble décidée à abaisser la Grèce, n’a point