Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/77

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de son esprit n’était pas même rachetée par le sérieux de sa conduite. Ses rancunes égalaient ses colères, et ce roi d’un peuple grave se renfermait tous les soirs chez deux Allemandes, l’une très longue, l’autre énorme, toutes deux d’un âge avancé, toutes deux ses maîtresses la vieille duchesse de Kendal, qu’Horace Walpole appelle le Mât de Cocagne, et la comtesse de Darlington, qu’il a surnommée l’Éléphant. La populace de Londres entourait les voitures de ces beautés et les huait ; les pamphlets, les vers satiriques, les caricatures, inondaient la cour et la ville. Un pauvre imprimeur nommé Mist, ayant publié dans son journal « que l’Angleterre était ruinée par des laiderons, » en fut pour ses deux oreilles, que la chambre des communes prit la peine de faire tomber.

Il faut voir dans les mémoires d’Horace Walpole à quel point George Ier sentait sa force ; elle était dans sa nullité. Lorsqu’il apprit la mort de la reine Anne, sa cousine, à laquelle le parlement l’appelait à succéder comme chef de la seule branche protestante des Stuarts, un courtisan lui demanda comment il s’y prendrait pour gouverner ce peuple ingouvernable. « Je ne me donnerai pas la moindre peine, répondit-il, je laisserai faire mes ministres ; ils paieront pour moi, c’est leur affaire. » Il disait aussi : « Les tueurs de rois sont de mon côté ; je joue sur le velours. » Toute sa politique consista donc à se mettre bien avec les tueurs de rois, à laisser ses ministres faire, à repousser les tories, à s’abandonner aux whigs, à piller le trésor et à cultiver ses plaisirs personnels qui n’avaient rien de noble ou de distingué. On j’agitait beaucoup en France pour le prétendant, et surtout à Paris, où se réfugia Bolingbroke, qui ne tarda pas à se trouver le centre de toutes les conspirations contre George. Le régent aimait les femmes ; on lui dépêcha une maîtresse pour le convertir aux intérêts légitimistes, et la tentative de miss Olivia Trant n’est pas un des épisodes les moins curieux de ce temps-là. Elle fit de son mieux, perdit ses peines, et ne gagna que le très médiocre avantage d’être admise au nombre des sultanes du régent. Cependant le nord de l’Écosse remuait ; le catholicisme anglais ne se tenait pas pour battu, et l’atelier parisien continuait son travail. Il y a là-dessus de curieuses particularités dans les lettres de Bolingbroke et dans les Réminiscences d’Horace ; « ils étaient plus de deux cents hommes et femmes, petits et grands, qui tiraient chacun de son côté et conspiraient à qui mieux mieux. Pas un de nos secrets qui ne fût à l’instant même connu de lord Stair et de la cour de France. De subordination, d’ordre, de discipline, il n’en était pas question. Ceux qui savaient lire