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amère de son esprit, il avait fort mal vu les choses, quand il avait embrassé la doctrine mourante de l’autorité. Ce qui éleva Robert et le maintint au contraire, ce fut son adhésion ou plutôt son adhérence essentielle au principe de la liberté, au whiggisme, qui avait pour lui le succès et l’avenir. Vers le commencement de 1713, on trouve les noms de Swift et de Robert étrangement accolés dans une pièce de ver que ce précieux collecteur Horace nous a léguée :

De Somers à Walpole, en vain petits et grands
Ennemis du bon ordre et whigs de tous les rangs,
Aux branches du pouvoir s’accrochent tous ensemble,
Rien ne bouge, tout dort ; rien encore ne tremble,
Et Swift et les tories triomphent à la fois !…


Il avait tort ; tout bougea bientôt, et le whiggisme populaire resta maître de la place aussitôt que la reine Anne eut fermé les yeux.

Entre 1715 et 1780, après la reine Anne, on voit surgir et fleurir dans la plus glorieuse médiocrité cette branche hanovrienne des Georges qui eurent Robert Walpole pour ministre. Un des phénomènes étranges de l’histoire moderne, ils règnent comme des chiffres, et n’ont qu’une valeur de position. Leurs actions personnelles sont ridicules ou exécrables, et leurs sujets s’en accommodent très bien. Ils font de très petites choses dans leur palais, et la nation en accomplit de très grandes. Aussi toute cette histoire est-elle on ne peut plus difficile à débrouiller ; elle se compose de deux portions bien distinctes, d’un vaste mouvement et d’une basse intrigue. Le mouvement embrasse le globe et ébranle l’avenir, l’intrigue se borne à quelques individus vicieux ; comme ces vices, ces vénalités, ces corruptions, ces extravagances constituent les élémens même du mouvement général. Il est impossible de l’étudier et de le bien connaître sans pénétrer et sans comprendre les petitesses infimes de l’intrigue. Voilà l’utilité des mémoires et des lettres posthumes d’Horace ; avec lui, en sait par cœur toute cette époque ; on voit saillir les profils, ressortir les silhouettes, et toutes les menues coquineries de la vie humaine, se détacher avec une netteté effroyable. Nous dirons tout à l’heure quel est son but, si le lecteur ne l’a pas deviné déjà. Horace, en définitive, sera l’historien de son époque. S’il a condamné ses mémoires à une sorte d’exhumation palimpseste, qui correspond très curieusement à l’ambiguïté de son caractère, il avait ses raisons ; on les déroule peu à peu, comme les manuscrits d’Herculanum ; successivement vous voyez paraître un fragment de George II, un commencement