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vouée à l’étude, à la contemplation, aux vertus douces et privées que sa muse respire. Qui donc croire alors ? Si vous m’écoutez, ni les uns ni les autres. A merveille ; mais un homme, un poète qui n’est ni vivant ni mort, que peut-il être ? Et s’il n’habite ni l’enfer de ce monde ni le paradis de l’immortalité, en quels lieux séjourne-t-il ? Aux limbes ? Oui, peut-être en ces limbes où les esprits supérieurs non encore consacrés par la mort se retirent loin des luttes bruyantes et des querelles de parti, en ces Champs-Élysées contemporains où Châteaubriand et Rossini, Uhland et Béranger, se rencontrent. Il y avait ainsi jadis dans les caveaux de Saint-Denis un vestibule sur le seuil duquel s’arrêtait le défunt monarque avant d’être mis en sépulture, comme s’il eût craint de passer trop subitement et sans transition de pleine vie en pleine mort. Bien qu’il soit encore de ce monde, Rückert n’appartient déjà plus à la génération active proprement dite, au groupe remuant : les politiques l’ont chassé du soleil ; combien cela durera-t-il ? Ah ! si Goethe vivait ! Et c’est dans le calme et la sérénité de ce demi-jour précurseur de la transfiguration des poètes, que nous l’avons entrevu l’étoile au front, et pour couronne un rameau du laurier de Pétrarque.


HENRI BLAZE.