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l’épuise et on finit par substituer à l’inspiration je ne sais quelles formules originales sans doute, quels procédés charmans qui n’ont qu’un tort, celui de manquer d’imprévu. Ici le nom de M. Auber me vient à la plume. Et qu’on y prenne garde, ces réminiscences juvéniles, cette grace artificielle, cette fantaisie qui ne veut pas vieillir et se met du rouge au besoin pour danser sur la ritournelle favorite, ne sont peut-être pas les seuls points de ressemblance qui rapprochent le poète du Diamant et de la Perle du chantre de Gustave et de la Sirène. Toutefois, ne disons pas trop de mal de ces combinaisons de mots, de ces accouplemens sonores, car cette science de la forme dont Rückert possède en maître le véritable secret, s’il la fait servir par momens à de bizarres contrepoints, à de vaines et puériles innovations, il l’emploie aussi bien souvent dans un but plus élevé, plus pur, celui d’enrichir la langue poétique et de fixer nettement la strophe. On ne saurait penser d’ailleurs combien cette diction musicale et rhythmique sert au microcosme du poète ; cela chuchotte, jase, murmure, frôle, grésille et siffle. À lire ces causeries mystérieuses du rossignol et de l’étoile, on croirait presque à la poésie imitative. Quant au romantisme, Rückert ne le comprend même pas. Abîmé dans le soleil oriental, source vivante de sa pensée, le clair-obscur lui échappe ; il ne sent rien de ces terreurs secrètes, de ce mysticisme froid et plein d’épouvante dont le souffle parcourt les grandes forêts de chênes et plane sous l’ogive des cathédrales. Poète de la plaine, il vous en contera les merveilles, que ce soient des jardins ou des mosquées, des nappes de cristal ou des champs de fleurs ; mais à d’autres la montagne et l’abîme, à d’autres tels qu’Arnim la gorge profonde où la mélancolie se recueille et songe.

L’auteur de l’intéressante notice que j’ai citée au commencement de ces études, M. Braun, appelle Rückert le plus allemand des poètes de l’Allemagne. J’avoue qu’une pareille assertion de la part d’un écrivain sérieux a de quoi étonner, et je ne me l’explique que par cette étrange manie qui possède le critique badois de tout louer dans son auteur. Si quelque chose manque à Rückert, c’est à coup sûr la nationalité. Orientale dans les Gazelles, italienne dans les sonnets et les octaves, française même dans les distiques d’une concision si accusée, si nette, l’imagination de Rückert, essentiellement souple et mobile, curieuse au suprême degré, se prête à toutes les excursions, à toutes les métamorphoses. Qu’elle ne cesse pourtant jamais complètement d’être allemande, qu’au milieu de tant de transformations le sens germanique persiste, je le veux bien, mais encore doit-on ne