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trouvait maître, depuis 1688, des affaires et du trône. En 1710, l’établissement de Guillaume ayant acquis déjà quelque fixité, et la révolution semblant définitivement triomphante, il se fit en faveur de l’autorité et du torysme une révulsion à laquelle on pouvait s’attendre. Elle renversa les whigs, et, parmi leurs troupes les plus dévouées, le secrétaire de la guerre, Robert Walpole, ami et protégé de lord Marlborough. Un homme si dévoué et si assidu, qui marchait droit à la ruine de ses ennemis et au triomphe de ses amis, et qui ne s’arrêtait jamais aux phrases, avait trop de valeur intrinsèque pour être négligé ; il fallait compter avec lui, car il savait deux choses plus redoutables dans la vie politique que la vertu et l’éloquence : il savait haïr et agir. On vint donc à lui, et Harley, homme d’un esprit conciliant et élégant, lui proposa une place dans le cabinet nouveau. Il reçut mal ces avances. Les tories, qui avaient essayé de l’attirer, virent qu’il n’y avait plus qu’à le détruire. On sait de quelles armes disposent les partis. L’Angleterre, un peu moins civilisée que nous, en avait de barbares et de singulières : la tour, le pilori, l’exil, le déshonneur, étaient suspendus alors sur la tête d’un ministre qui tombait, et l’échafaud se dressait quelquefois, ce qui rendait le jeu plus vif. Une des machines les plus redoutables, et celle que dans les grandes occasions l’on mettait en réserve contre les hommes qui semblaient dangereux, c’était l’accusation de corruption et de péculat : une très bonne invention, parce qu’elle ne tue pas seulement, elle flétrit et empêche de revivre. Or, les secrétaires d’état, et surtout ceux de la guerre et de la marine, avaient et ont peut-être encore, parmi leurs émolumens, quelques perquisites tellement passés en coutume, bien que la loi ne les avouât pas, que c’était devenu affaire convenue et légalisée par l’usage. Les gens nommés à des places ne manquaient pas d’envoyer ces perquisites. Un ministre déplaisait-il ? ses adversaires avaient-ils le dessus ? on prouvait qu’il était un voleur, on l’accusait de concussion. Robert Walpole fut dans ce cas. Le ministère tory lui fit un bon procès, le soumit au blâme public, et l’envoya en prison à la Tour : il ne s’en étonna ni ne s’en fâcha, mais s’en réjouit au contraire ; on sait que l’audace, chez Walpole, était poussée jusqu’à l’insolence. Il avait compté sur cette apothéose, et il en usa magnifiquement. « Tous les jours, dit Horace Walpole, il y avait grand lever dans sa prison. Le duc de Marlborough et la duchesse, Godolphin, Sunderland, Pulteney, n’en sortaient pas ; on ne voyait que voitures armoriées et splendides équipages dans la cour de la vieille geôle. Robert y donnait à dîner tous les jours, et les poètes,