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L’incertitude de l’existence, son côté fragile et mesquin forment, à quelques exceptions près, l’unique sujet de ces méditations. Je distinguerai entre autres morceaux remarquables ce passage des Chants Elégiaques qui me semble donner en un cadre restreint une image parfaite de l’activité humaine et de son impuissance :


« Je courais dans les sentiers de ma vie vers le feu follet du bonheur, lequel toujours paraissait s’éloigner ; et d’une ardeur toujours croissante, je n’élançais vers le brillant phosphore ; vain effort, il fuyait toujours ! Enfin, qui m’expliquera ce mystère ? Je me retourne tout à coup, et l’aperçois derrière moi qui étincelle à l’occident du feu de l’étoile du soir Comment donc ai-je fait pour passer devant sans m’en apercevoir ? Il faut que ç’ait été en rêve. »


J’ai parlé d’exceptions. Çà et là reparaissent encore les fantaisies, les ciselures. Vous savez ces, symphonies où vingt motifs se croisent et se combattent avant d’aller se perdre, se résoudre dans quelque idée dominante, comme des ruisseaux dans l’Océan ; cette partie mélangée, qui vient après les Roses orientales, produit exactement sur moi le même effet. La corde frivole, enjouée y vibre bien encore à côté de la corde grave, mais on sent que cette dernière l’emportera La fantaisie elle-même s’y hérisse de je ne sais quel tour épigrammatique, ou l’humoriste se révèle, comme dans cette charmante petite pièce intitulée Dans le Parc, et je ne puis m’empêcher de traduire en vers, tant la forme allemande en est invitante. La voici :

N’allons jamais nous promener, ma belle,
Dans ces jardins où les fleurs et les bois
Ont de grands airs de pompe officielle,
Où le zéphyr n’ose élever la voix ;
Jardins royaux, où le soleil de glace
Semble à plaisir éteindre son éclat,
Où les buissons, chuchottant à voix basse,
Causent entre eux des secrets de l’état,
Où la cascade, en tombant sur les marbres,
Conte aux échos son éternel ennui.
Le rossignol chante mal dans les arbres,
En ces bosquets d’où le mystère a fui ;
Sa mélodie aux notes embrasées
Risque, en montant dans l’air comme un parfum,
De s’y heurter au babil importun
D’un papegeai bavardant aux croisées,
Et la colombe est là contre son gré,
Où la perruche et le faisan doré