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l’étude, et faut-il dédaigner comme indignes de soi tant d’utiles ressources et de riches trésors que les muses silencieuses gardent en réserve pour les esprits qui les fréquentent ? Telle occasion peut s’offrir où l’instinct si profond, si généreux qu’il soit, a besoin que la réflexion lui vienne en aide. Chez nous autres, je le répète, la précipitation gâte tout. Une idée conçue le matin est exécutée le soir même ; le lendemain on l’imprime, on la publie avant qu’elle ait eu le temps de s’épurer à cette lumière critique dont tout penseur a le foyer. Quand des Orientales de Victor Hugo ma vue se reporte au Divan de Goethe, je ne puis m’empêcher d’admirer au plus haut degré ce sens critique dont je parle, et qui, je m’en aperçois alors, m’avait jusque-là trop peu frappé ; j’en dirais autant de cette analyse subtile, de cette observation métaphysique qui creuse avant tout l’être moral, et loin de s’en tenir au phénomène extérieur, va chercher au fond des consciences le secret de la vie d’un peuple. Qu’on se donne seulement la peine de parcourir, dans la dernière édition des œuvres complètes de Goethe, le volumineux appendice annexé au Divan, et l’on verra quelles recherches, quels travaux d’exégèse et de critique ont servi de prélude à ce recueil léger, à ces poésies fugitives, comme on disait au temps du directoire. A des considérations sur la poésie des Hébreux, des Arabes et des anciens Perses succèdent des documens puisés aux sources authentiques ; puis viennent des notices biographiques sur Ferdousi, Emveri, Nisami, Dschelaleddin-Rumi, Saadi, Hafiz, Dschami, les sept planètes de la pléiade orientale ; études fortes et bien nourries que l’auteur de Faust termine par une ingénieuse remarque. « Si nous avons essayé de décrire en quelques chapitres les cinq siècles de la poésie et de la belle diction persane, observe-t-il au dernier paragraphe, qu’on nous le passe, et qu’on le prenne, pour parler à la manière de Quintilien, notre vieux maître, de la façon dont on prend un compte rond, sinon pour l’exactitude, du moins pour quelque chose d’approchant. » A mon sens, de pareils matériaux ne sauraient nuire, et je ne pense pas que la fantaisie ait jamais rien à perdre à les consulter d’abord, quitte à se donner plus tard libre carrière.

Ne vous est-il point arrivé, en passant, l’été, devant le laboratoire d’un chimiste, de voir des salles entières remplies de roses effeuillées ? bientôt, à l’action du feu, le monceau va diminuer et se fondre, et cette odorante pyramide qui embaumait le voisinage donnera pour dernier résultat un petit flacon d’essence. Tel est à peu près l’effet que produit sur moi cette poésie orientale du Divan de Goethe,