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pèlerin couché dans la poussière appelle de ses vœux l’heure de la transfiguration ; mais avant qu’elle sonne pour lui, cette heure tant souhaitée, il faut que l’ame céleste ait triomphé dans cette lutte à mort qu’elle livre à l’ame terrestre. De là une initiation continuelle à la vie pure, une inspiration empruntant ses argumens à l’image, au symbole, et ramenant par toute sorte d’allusions la pensée édifiante.


« Cette épée dont la lame et la pointe sortent pures des mains du forgeron, veille à ce qu’elle ne se rouille point dans un impur fourreau. Cet or qui, dans les coffres-forts de l’avarice, sert aux projets des esprits ténébreux est au trône de notre EMPEREUR un ornement sublime. Quand le nuage des cieux répand des ondées, tous les arbres se désaltèrent. Le pommier porte des fruits, et le saule un feuillage grisâtre. Vois, ce jonc reste creux, et cet autre est enflé de sucre : tous deux cependant ont bu au même étang. Deux bêtes ont tondu le même pâturage ; le cœur de l’une sécrète le musc, celui de l’autre le fiel. Deux vers de différentes espèces ont mangé de la feuille à l’arbre l’un donne un fil stérile, l’autre file de la soie. L’abeille et le serpent ont sucé la même fleur, et du suc nourricier celle-là fait un baume pour soulager la souffrance, celui-ci un poison pour l’aviver. Tel voit la lumière du ciel, et ses propres ténèbres s’en augmentent ; tel autre, pareil à la rose, s’en enveloppe amoureusement, O toi, sois à ton tour un vase de cristal, et transforme en pure essence tout ce que tu recueilleras dans les riches pâturages de Dieu. »


Qui ne sait point secouer l’impureté ne contemplera jamais Dieu dans sa gloire, et celui-là seul sera maître du monde qui sait renoncer au monde.


« L’amour cria de la porte du ciel : Qui donc ose d’en bas regarder vers Dieu ? — C’est nous qui regardons vers Dieu, répondit à l’amour un chœur de prêtres. L’amour cria Comment pouvez-vous regarder ? devant vos yeux s’étend un voile, un voile tissé de haine et de cupidité, à travers lequel la lumière ne pénètre pas. Devant votre regard troublé, la face du soleil se voile, la Grace qui trône au-dessus des nuages ferme l’oreille à votre clameur sourde, et les invocations de votre prière ne seront point exaucées. Oh ! dépouillez, avant de regarder vers le ciel, dépouillez les ténèbres terrestres ; en place de la cupidité et de la haine, prenez l’amour dans votre cœur, et vous pourrez ensuite lever vos yeux vers la Divinité. »


L’amour embrase l’élu de Dieu ; il est sa foi, sa vertu, son trésor ; il est la source de sa morale et de son ascétisme. L’homme tend à se rapprocher le plus possible de la Divinité, et pour cela il faut qu’il aime, qu’il aime en petit comme Dieu aime en grand. L’immortel Sultan a fait de l’amour l’ame des univers, et quant à lui, il est partout,