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vous voulez, en pensant à Villette[1], d’où je m’imaginais que vous pourriez de temps en temps dater vos lettres. J’aime d’ailleurs les noms propres ; j’ai toujours été bien aise de porter un nom à moi, et je ne saurais vous dire combien de plaisir il me fait que personne ne s’appelle Fauriel, hors mon ami… Pour ce qui regarde ma Violette, j’y renonce dès à présent dans tous les actes publics, mais rien au monde ne m’y fera renoncer dans les cas privés. Je dirai là-dessus comme disait certain évêque : « En public, madame, « vous serez obligée de m’appeler monsieur, mais en particulier vous pouvez « m’appeler monseigneur. N’ai-je pas fait planter une quantité innombrable de violettes au pied de la butte que je viens de faire moi-même dans le jardin, uniquement pour justifier ce nom ? Et n’ai-je pas daté toutes les lettres que j’ai écrites depuis un mois, de Violette, par cette même raison ? Il est vrai que jusqu’à présent il n’y a que vous, Mme de C…, ma femme et moi, qui sachions ce nom ; mais mes trois fils grandissent et le sauront un jour, mon meilleur ami M… le saura, et puis la postérité ; c’est tout ce qu’il me faut. Les violettes craignent le grand jour ; c’est au sein de l’amour, de l’amitié et de la poésie qu’elles se cachent. »


Fauriel s’était épris tout d’abord du poème de la Parthéneide et s’était dit de le traduire ; mais il y avait des difficultés plus grandes qu’on ne le supposerait aujourd’hui, à risquer cette traduction devant un public très dédaigneux de goût et très en garde sur le chapitre des admirations étrangères. Fauriel fit là ce qu’on le vit renouveler depuis en d’autres circonstances il s’associa à l’auteur même qu’il interprétait, entra intimement dans l’esprit du poème, dans le goût inhérent aux deux poésies et aux deux langues qu’il s’agissait de concilier, provoqua des changemens dans l’ouvrage original pour une future édition, et se fit pardonner auprès du poète ami, qu’il voulait avant tout servir, ses conseils judicieux de remaniement, ou, qui plus est, ses propres retouches exquises et délicates. Mais qu’ai-je dit pardonner ? L’excellent Baggesen n’en était pas là avec lui, et il le suppliait, bien au contraire, d’en agir de la sorte, il le lui répétait chaque jour avec une vivacité et une sincérité intelligente, qui prouve autant pour son esprit que pour son cœur :


« Mais que je vous dise au moins à la hâte (lui écrivait-il) un petit mot sur l’extrême plaisir que m’a fait votre annonce de la traduction du premier, deuxième et quatrième chant de la Parthénaïs, et surtout votre raisonnement sur la méthode que vous avez adoptée, et sur la manière dont vous pensez continuer ce travail généreux. Je brûle d’impatience de lire ce commencement, sûr de la satisfaction la plus complète. Je ne doute nullement,

  1. C’était la terre de M. de Grouchy.