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les derniers temps de sa vie, Cabanis avait quitté Auteuil pour habiter la campagne près de Meulan, c’est-à-dire non loin de la Maisonnette ; ce voisinage resserra encore les liens. Avant même de s’établir au hameau de Rueil, Cabanis était souvent à Villette, chez son beau-père, M. de Grouchy : « Oui, venez voir nos riches prairies, écrivait-il de là à Fauriel au printemps de 1804, nos blés admirables, notre verdure aussi riche que fraîche et riante. Les insectes qui bourdonnent appellent la rêverie et invitent à un calme heureux. Ceux qui carillonnent ailleurs ne produisent pas toujours le même effet. » Lorsque Cabanis mourut en mai 1808, ce fut une profonde douleur pour Fauriel ; il avait d’abord eu le projet de payer à son ami sa dette dans une notice étendue, mais ce trop grand désir de la perfection qu’il portait en toutes choses, qu’il eût porté surtout en un sujet si cher à son cœur, et aussi l’excès de sa sensibilité, s’y opposèrent ; il finit même par se détourner peu à peu des études philosophiques auxquelles le souvenir de cette perte se mêlait trop étroitement. Bien des années après, M Daunou, au moment de sa mort, préparait une biographie développée de Cabanis, qu’il n’a pas eu le temps d’écrire. Cette lacune n’a donc pas été remplie, et la tradition s’est rompue avant que l’esprit en ait pu être fixé par un héritier fidèle dans le portrait du sage. Benjamin Constant écrivait de Suisse à Fauriel, le 22 juillet 1808 :


« Je me suis informé souvent de vous cet hiver. J’ai espéré plusieurs fois, d’après ce qu’on me disait, que vous viendriez à Paris, et je comptais au moins vous rencontrer à une triste cérémonie, où j’aurais bien sincèrement mêlé mes regrets aux vôtres. Je conçois que la perte de Cabanis, qui aurait été dans tous les temps une juste cause d’affliction pour ses amis, vous ait été doublement sensible, dans un moment où les hommes de cette espèce semblent disparaître de la terre. A peine aperçoit-on encore quelques débris de cette classe qu’assurément la génération qu’on forme et qu’on veut former ne remplacera pas. »


Pour exprimer cette fleur de bonté, de douceur et d’affection qu’il avait reconnue dans l’ami de son ami, Manzoni ne trouvait rien de mieux qu’un mot qui dit tout et plus que tout : parlant de lui avec Fauriel, il l’appelait cet angélique Cabanis.

Beaucoup moins intimement et moins tendrement uni à M. de Tracy qu’à son cher Cabanis, Fauriel entretint pourtant avec l’éminent auteur des Elémens d’Idéologie de sérieux et fréquens rapports, très cimentés de confiance et d’estime. Je n’oserais affirmer que la Lettre de Cabanis sur les Causes finales n’ait pas un peu mécontenté M. de Tracy, comme une excursion beaucoup trop indulgente et presque