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encore jusque dans l’appréciation de l’histoire. Fauriel a eu cela de particulier et d’original, nous ne saurions assez le rappeler, qu’issu du pur XVIIIe siècle et comme en le prolongeant, il a rencontré et entamé presque toutes les recherches neuves du XIXe, sans avoir dit à aucun jour : Je romps. Assez d’autres, sur le devant de la scène, se hâtent d’emboucher la trompette en ces heures de renouvellement, et s’écrient avec fanfares à la face du soleil :

Alter ab integro saeclorum nascitur ordo !


Fauriel disait moins, tout en faisant beaucoup. En lui les extrémités, les terminaisons de l’âge précédent se confondent, se combinent à petit bruit avec les origines de l’autre ; il y a de ces intermédiaires cachés, qui font qu’ainsi deux époques, en divorce et en rupture à la surface, se tiennent comme par les entrailles.

Dans le critique de Villers, il nous a été possible de reconnaître l’ami de Cabanis. Fauriel eut, en effet, avec Cabanis une de ces liaisons étroites, de ces amitiés uniques, qui font également honneur à l’une et à l’autre des deux ames. On peut dire que les deux hommes peut-être que Fauriel a le plus tendrement aimés furent Cabanis et Manzoni : il y a bien à rêver, comme dirait Mme de Sévigné, sur le rapprochement de ces deux noms.

Cabanis (et je n’entends hasarder ici que mon opinion personnelle) n’est pas encore bien jugé de nos jours ; malgré un retour impartial, on ne me paraît pas complètement équitable. Les plus justes à son égard font l’éloge de l’homme et traitent un peu légèrement le philosophe. Cabanis l’était pourtant ; si je m’en forme une exacte idée autant qu’aucun de son temps et du nôtre ; il l’était dans le sens le plus élevé, le plus honorable et le plus moral, — un amateur éclairé et passionné de la sagesse. Je ne prétends pas le moins du monde, en m’exprimant de la sorte, m’engager de près ni de loin dans l’appréciation d’un système qui a peu de faveur, qui n’en mérite aucune à le juger par certains de ses résultats apparens, et dans lequel on est heureux de surprendre à la fin les doutes raisonnés de Cabanis lui-même : mais ces doutes vraiment supérieurs ne sont-ils pas plus sérieusement enchaînés et peut-être plus considérables qu’on ne l’a dit[1] ? Quoi qu’il en soit, nous devons en toucher quelque chose en passant. Il est un seul aspect par

  1. Dans un éloquent et savant morceau sur la Philosophie de Cabanis, inséré dans la Revue des Deux Mondes du 15 octobre 1844, M. de Rémusat en a prononcé avec plus de rigueur ; c’est l’adversaire le plus équitable, le plus généreux, le plus indulgent, mais c’est un adversaire.