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n’ai plus aucun motif de continuer, je n’en ai plus que de me taire ; et je vous serais obligé si vous vouliez en prévenir M. Amaury[1].

Acceptez mes excuses et mes regrets d’avoir si mal rempli votre attente ; et croyez qu’à tout évènement, et malgré toutes les apparences, je ne cesserai de vous rendre justice, et d’avoir pour vous une affection dont j’aurais aimé que vous ne doutassiez pas, mais qui est indépendante même de votre manière de sentir à mon égard. »


A cette lettre de Fauriel, Villers répondit aussitôt :

« Ce n’est point de votre bienveillance et de l’amitié personnelle que vous m’accordez, mon cher Fauriel, que j’ai jamais douté ; mais j’avoue que j’ai été affecté, dans l’explication que nous eûmes chez vous, un matin, de vous voir m’accuser, avec une très grande vivacité, de déprécier gratuitement la France, de relever outre-mesure l’Allemagne, etc. Ce n’est pas, comme vous le dites, une partialité peu philosophique qui me fait incliner pour la culture morale et intellectuelle de l’Allemagne protestante. C’est, j’ose le dire, un sentiment de préférence très motivé, fondé sur dix ans d’études et d’observations. Si vous connaissiez mieux les bases de ma conviction, si nous avions vécu davantage ensemble vous trouveriez peut-être quelque chose de plus noble et de plus raisonnable que ce qu’on a coutume de désigner par l’odieux nom de -partialité. Convenez qu’il a dû être pénible pour moi de les voir ainsi méconnaître par vous, que j’avais cru plus capable que personne de les apprécier.

« Quant à l’extrait que vous avez commencé de mon ouvrage dans la Décade, et dont je suis très loin d’être mécontent, je vous prie sincèrement de vouloir bien le continuer. Je vous ai fait une observation sur le code prussien, au sujet duquel vous aviez pris le change, — une autre au sujet de l’orientalisme des théologiens protestans, sur lequel vous preniez aussi le change[2]. Mais que cela ne change rien au reste de votre travail. — Vous m’avez dit, il est vrai, en termes fort clairs, que vous croyez beaucoup moins que moi à l’influence de la Réformation. J’y croyais aussi beaucoup moins, quand j’ai commencé à l’étudier sérieusement, et j’imagine qu’alors j’aurais nié et traité de chimère ce qu’on m’aurait dit à ce sujet. Ce n’est qu’en y regardant de très près, et en remontant à toutes les sources, que s’est découverte à mes yeux toute la fertilité de ce grand évènement, qui a occupé presque exclusivement les cabinets et les têtes pensantes de l’Europe entière, depuis 1520 jusqu’en 1648. — Il se fait de la besogne, pendant cent vingt-huit ans

  1. Ce second article, en effet, n’a pas été imprimé. Ce ne fut que plusieurs mois après, à la fin du quatrième trimestre de la Décade de l’an XII, page 538, qu’on inséra sur l’ouvrage de Villers un second extrait qui n’est pas de Fauriel.
  2. Fauriel, dans son article, tint compte de ces deux observations et retira les critiques qui s’y rapportaient.