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françaises du style qu’il semble avoir eu, dans la suite, moins d’occasions directes de considérer. « Même avec les ressources d’une langue très cultivée, même avec un talent réel, bien écrire est nécessairement un art très difficile, si du moins par cet art on entend celui d’exprimer avec force et clarté des idées qui soient autre chose qu’une réminiscence, plus ou moins déguisée, de ces idées devenues, par une longue circulation, celles de la société tout entière, et qui forment pour ainsi dire, la surface de tous les esprits. » Et il part de là pour établir le mérite tout particulier à La Rochefoucauld, comme écrivain, mérite original et qui ne consistait pas simplement à se servir d’une langue déjà perfectionnée, mais qui allait à fixer pour sa part une prose encore flottante. La comparaison entre La Rochefoucauld et Vauvenargues n’est pas un de ces parallèles à effet dont les confond et atteint le ressort même de leur doctrine :


« Le premier voit partout le vice et la vanité transformés en vers ; le second représente le vice et la vertu sous des traits exclusivement propres à chacun d’eux, et qui ne permettent pas de les confondre ni même de les rapprocher. Pour l’un, l’amour-propre est une tache originelle imprimée à toutes les actions humaines, un point de contact inévitable entre celles qui sont en apparence les plus opposées, et qui établit entre elles non-seulement une communauté d’origine, mais une sorte d’égalité morale. Pour l’autre, l’amour-propre n’est qu’un notre attribut général et nécessaire de notre nature, qui ne devient un bien ou un mal que par ses déterminations particulières. »


Fauriel termine par cette conclusion aussi délicate qu’ingénieuse :


« On n’estimerait peut-être pas assez La Rochefoucauld, si l’on jugeait de ses sentimens par ses principes ; et l’on ne pourrait faire un plus grand tort à Vauvenargues que de supposer son talent étranger à son caractère. »


En regrettant que ce morceau sur La Rochefoucauld n’ait pas été imprimé, nous en dirons autant d’un grand nombre des écrits de Fauriel à cette époque. Il écrivit long-temps pour lui seul et pour le cercle de ses amis particuliers, en présence des sujets qu’il approfondissait et sans se préoccuper du public. Il est peut-être l’homme qui, dans sa vie, a le moins songé à l’effet ; il ne visait qu’à bien voir et à savoir. Oserai-je noter un inconvénient de cette manière si calme, si désintéressée et si profonde ? L’habitude prise de bonne heure de ne pas se placer du tout en face du public, mais seulement en face des choses, induit l’écrivain à des lenteurs d’expression qui tiennent au scrupule même de la conscience et au respect le plus honorable de la vérité. Je