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Constant, des rapports littéraires et autres, et les preuves de cette liaison particulière sont trop marquantes pour que nous puissions entièrement les négliger ici. Il eut l’occasion de rendre à Benjamin Constant un important service dans l’été et l’automne de 1802. Benjamin Constant, très en vue par son opposition au sein du Tribunat, était parti brusquement de Paris en floréal an X (mai 1802), accompagnant ou suivant de très près Mme de Staël et son mari mortellement malade. Ce départ avait été imputé à des motifs politiques ; le premier Consul était très indisposé contre Constant, et, un jour que Fouché avait rencontré Fauriel, le ministre lui avait fait entendre que son ami, puisqu’il était parti, ferait aussi bien de ne pas revenir, s’il ne voulait s’exposer à de graves inconvéniens. L’avis fut aussitôt transmis par Fauriel à Benjamin Constant, alors en Suisse, et de là toute une négociation à mots couverts, qui montre à quel point le secret des lettres et la liberté individuelle étaient peu respectés à cette époque glorieuse. Benjamin Constant brûlait de revenir en France depuis qu’on lui en contestait la permission ; il voulait revenir, sinon à Paris, du moins à sa campagne de Luzarche, où des affaires d’intérêt l’appelaient. Il soupçonnait Fouché d’exagérer le mécontentement du Consul, et les raisons qu’il donnait à l’appui de sa conjecture sont caractéristiques des hommes et du moment. De tels détails touchent d’assez près au Suétone ; mais un biographe a droit d’entrer dans quelques-unes de ces coulisses que s’interdit l’historien :


« J’ai de fortes raisons de penser, écrivait Benjamin Constant, que toute cette affaire ne tient point à une disposition du Premier Consul. Il a eu un accès d’humeur, à l’époque de mon départ ; d’après d’autres soupçons très mal fondés ; mais ceci n’a rien de commun avec ses colères antérieures. Voici le fait, j’en ai la conviction la plus forte : F. (Fouché), durant cet hiver, a dîné deux ou trois fois avec moi dans une maison que vous connaissez (chez madame de Staël). Il avait cru prudent de ne point parler de ces dîners. Mais la personne chez qui nous dînions, ayant, par erreur, supposé qu’ils étaient connus, en a dit, avec bonne intention, et avec le désir de servir F. (Fouché), un mot qui est revenu au Premier Consul.- Celui-ci, fidèle à son système de semer la défiance, a dit à F. (Fouché) : « Vous dînez chez… ; je sais tout ce que vous y dites. » F. (Fouché) s’est cru compromis ; il n’y avait pas le moindre fondement. Outre qu’il n’y avait rien à savoir, le Premier Consul ne savait que le fait matériel d’un dîner dans telle maison. Cela a eu lieu huit ou dix jours avant mon départ. G. (Garat) m’en a averti ; mais le sort a fait que je n’ai plus revu F. (Fouché), de sorte que je n’ai jamais pu lui expliquer cette tracasserie. Je n’y suis, moi pour rien de personnel. Ce n’est ni chez moi que la chose s’est passée, ni contre moi que