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Weimar, ce 29 février (1804).

«Voulez-vous vous charger, mon cher Fauriel, de ce petit mot pour Brown ? Nous venons de passer, Benjamin et moi, deux mois et demi assez doux entre Goethe et Schiller, et un prince homme de beaucoup d’esprit, ce qui n’est pas commun maintenant. Je vais maintenant terminer mon voyage d’Allemagne par deux mois à Berlin, et Benjamin retourne en France ; mais il a pris tant de goût pour l’Allemagne, qu’il n’y voyage pas rapidement. Quand on aime comme moi l’esprit de société, quand on a pris l’habitude de se laisser distraire par ce genre d’amusement, la France seule peut plaire ; mais toute conversation qui a pour but l’instruction et une analyse singulièrement fine et ingénieuse des idées et des sentimens solitaires, il faut la chercher ici. — Schiller va donner une nouvelle pièce, Guillaume Tell, où il y a des beautés bien originales. Je vous rapporterai tout cela si j’ai le bonheur de vous revoir et si nous causons jamais quelque part à loisir. — Adieu, mon cher Fauriel. Voyez-vous quelquefois Villers ? que devient-il ? je l’ai trouvé fort aimable à Metz. — Si vous avez le bon mouvement de m’écrire, c’est chez M. Schickler, banquier à Berlin, qu’il faut m’adresser votre lettre. Mille amitiés. »


Durant toute cette relation amicale comme dans la plupart de celles même qui lui étaient le plus chères, on peut le remarquer, Fauriel, occupé au travail, enchaîné par les habitudes, et plus fidèle qu’actif aux souvenirs, Fauriel écrivait peu et laissait bientôt tomber, sans le vouloir, une des extrémités de la chaîne que l’autre correspondant, à son tour, finissait par ne plus soutenir que faiblement. Il revit plus tard Mme de Staël à Acosta (1806) lorsqu’elle y terminait Corinne ; la Maisonnette, cette habitation de Mme de Condorcet, était dans le voisinage. Les entretiens de près reprirent avec vivacité, avec abondance. Est-ce là, était-ce à Paris, à une époque antérieure, qu’eurent lieu certains déjeuners en tiers avec Frédéric Schlegel ? car Mme de Staël se plaisait à les mettre aux prises sur l’A1lemagne, Faurie1 et lui, les faisant jouter bon gré mal gré sous ses yeux. Mais ce qu’il importait de constater, c’est que, bien jeune et dès 1800, Fauriel eut, l’un des premiers, sur M de Staël une action intellectuelle. Même avant les deux Schlegel, avant Guillaume de Humboldt, ou du moins en même temps qu’eux, il eut l’honneur d’influer sur ce grand et libre esprit, de l’assister de sa science, et de lui faire pressentir quelques-unes des directions où, une fois lancé, son talent plein d’ame devait ouvrir des sillons si lumineux.

Fauriel eut également, dès l’origine, d’étroits rapports avec Benjamin