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n’aboutit à rien qu’à éviter à la fois les avantages de la démocratie et de l’aristocratie. – Je ne finis point parce que je suis fâchée ; mais j’attends plusieurs lettres de vous qui remettent mon affection bien à l’aise, afin d’écrire de longues pages qui ne pourront contenir, dans ma solitude, que des détails sur mes impressions, mes occupations, mes enfans ; et il faut que je sache tout de vous pour vous parler de moi. Auguste, vous écrira ; il dit que vous êtes ce qu’il aime le mieux à Paris. Pictet parle de vous aussi avec beaucoup d’intérêt. Tout ce qui m’entoure vous aime ; me laisserai-je gagner par l’exemple ? »


L’hiver suivant (1801-1802), Fauriel, encore attaché au cabinet de Fouché, était déjà très produit dans le monde ; il vit beaucoup Mme de Staël durant cette saison, il avait quelque chose envers elle à réparer. Il voyait aussi le monde philosophique proprement dit, il était initié au groupe d’Auteuil, et commençait à cultiver Mme de Condorcet. Il avait rencontré celle-ci pour la première fois un matin au Jardin des Plantes, où leur goût commun de la botanique les avait conduits. Du côté de Mme de Condorcet et de Cabanis, Fauriel entrevoyait plutôt la retraite, la méditation suivie, l’étude habituelle et profonde partagée entre les livres et la nature. Quant au cercle de Mme de Staël, c’était autre chose, c’était la vie sociale dans toute sa diversité et son mélange, le jaillissement et la fertilité des idées dans tout leur éclat. Nous pourrions le suivre cet hiver-là d’assez près. Les détails imprévus de société, quand on les peut ressaisir à distance, intéressent comme une découverte ; on est toujours tenté de s’étonner que d’autres aient vécu comme nous vivons, et qu’il y ait eu tant de vivacité, tant de mouvement, dans ce qui est loin, dans ce qui n’est plus. Alors, tout comme aujourd’hui, on se hâtait en bien des sens, on s’écrivait en courant au moment de partir pour une loge aux Bouffons, au moment d’aller à la Lodoiska de Chérubini ou à l’Henri VIII de Chénier. L’amitié, le cœur, l’intérêt sérieux avaient des instans, le monde avait les heures. Il y avait de ces rencontres qui font envie. Un jour, Mme de Staël arrangeait pour Fauriel un petit dîner avec M. de Chateaubriand, et celui-ci lui envoyait son Génie du christianisme, tout frais de l’impression, par les mains de Mme de Staël elle-même. Mais surtout, grace à sa position auprès de Fouché, Fauriel était inépuisable en bons procédés, en services à rendre, comme l’atteste ce petit billet entre vingt autres, Il est de Mme de Staël encore, et dénonce la bienveillance active de tous deux :

« Un homme des amis de Mathieu[1], M. de La Trémouille, est arrêté de
  1. Mathieu de Montmorency.