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n’avoir point connu un homme à qui je dois autant d’attachement que d’estime. Recevez du moins l’assurance de ces sentimens. — Servan aîné, à Roussan par Saint-Remi, département des Bouches-du-Rhône, 17 frimaire an VIII.

« P. S. On a trompé le citoyen Cantwel et le séquestre n’a point été mis sur mes biens. Cette erreur m’a attiré un acte de bienfaisance de plus de votre part et vous avez porté votre attention sur tout. Il est bien vrai que j’étais vivement menacé de ce séquestre, etc… » (Suivent des détails sans intérêt).


Et dans une lettre écrite deux jours après, craignant que la précédente ne soit point parvenue, le bon vieillard ajoute :


« Cette lettre, citoyen, contient la plus importante, la plus pressante de mes affaires : celle de ma vive reconnaissance pour vos procédés à mon égard. Je les raconte, je les répands sur tout ce qui m’environne, et je retrouve partout le même étonnement de cette activité de bienfaisance envers un étranger, un inconnu, à qui son âge et sa situation ne permettent plus, ni d’empêcher le mal, ni de reconnaître le bien qu’on voudrait lui faire. Si vous n’aviez pas reçu la lettre où j’ai tâché de vous exprimer les sentimens ou plutôt les premiers mouvemens de mon cœur, que penseriez-vous de moi ? Tourmenté de cette idée, j’ai écrit au citoyen Cantwel pour lui demander, comme une grace, de m’éviter le malheur de paraître ingrat ; je le supplie de vous voir et de vous dire, s’il est possible, à quel point je suis touché de votre singulier mérite. J’aurais gardé votre lettre comme celle d’un homme de beaucoup d’esprit, mais je la garde bien plus précieusement comme la preuve d’un cœur admirable. Jeune et bon citoyen, puissiez-vous être heureux dans toute la carrière que vous avez à parcourir !… »


Quand nous disons que Fauriel a été secrétaire de Fouché à la police, nous savons maintenant ce que cela signifie. Comme circonstance piquante ayant trait à cette même époque, il racontait qu’il avait été chargé pendant quelque temps de faire le rapport sur le marquis de Sade. La santé de Fauriel s’accommodait mal de ces occupations administratives auxquelles il ne voulait pas sacrifier l’étude, et il ne pouvait suffire aux deux objets à la fois. Dans l’été de 1801, il dut faire, pour se rétablir, un voyage dans le Midi. Ce fut sans doute une des raisons qui le déterminèrent bientôt à sortir d’une situation, incompatible d’ailleurs à la longue avec ses goûts et avec son extrême délicatesse. Il donna donc pour une troisième fois sa démission, comme il l’avait déjà donnée de sous-lieutenant d’abord, puis d’officier municipal. Il quitta Fouché dans le temps précisément où il faisait bon de s’attacher de plus près ce régime de toutes parts affermi et à ces fortunes grandissantes : « Mais vous êtes fou, lui disait