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inutiles. On a parlé de M. de Montalivet, on a dit que le portefeuille de l’intérieur lui était offert. Tous ceux qui connaissent le caractère élevé et résolu de M. de Montalivet savent comment il accueillerait cette proposition. Il faudrait qu’il fût bien ennemi de lui-même pour l’accepter. Qu’irait-il faire dans le cabinet du 29 octobre ? Défendre une politique qu’il a blâmée ? Quand cette politique succombe, irait-il lui tendre bénévolement la main pour la relever ? à quoi bon ? L’ancien ministre du 22 février et du 15 avril, le collègue de M. Thiers et de M. Molé a une situation dont il doit tenir compte. En même temps que son dévoûment à la constitution rassure le parti conservateur, son esprit libéral rencontre des sympathies dans l’opposition modérée. Il a des amis dans les deux camps, sans que cette double tendance de ses sentimens politiques fasse suspecter de part ou d’autre sa franchise. Cette situation particulière crée à M. de Montalivet des devoirs dont il a mesuré toute l’étendue. Ce n’est pas le ministère du 29 octobre qui pourrait les lui faire oublier. Parlez à M. de Montalivet d’un grand service à rendre, d’un danger à courir, vous le trouverez tout prêt ; mais parlez-lui d’abdiquer son caractère au profit d’un cabinet dont l’existence est factice ; parlez-lui de s’associer à une politique inerte, à un ministère sans pouvoir, M. de Montalivet refusera, et personne ne pourra l’en blâmer.

Ce que nous disons de M. de Montalivet, nous voudrions pouvoir le dire de M. Duchâtel. Nous regrettons qu’un esprit comme le sien soit engagé dans une voie si fausse, où le bien n’est plus possible depuis long temps, et où le mal commence à inquiéter tous les esprits sérieux. Quoi qu’il en soit, M. Duchâtel exerce aujourd’hui la dictature. Il gouverne à l’intérieur, il gouverne aux affaires étrangères, il gouverne partout. Voudra-t-il s’emparer définitivement de la situation ? On le dit, et cependant nous avons peine à le croire. Pourtant, l’entourage de M. Guizot exprime des craintes. De ce côté, en effet, on a quelques remords ; on sait combien la fidélité politique est faible, quand elle lutte contre l’ambition. En 1840, M. Guizot, ambassadeur à Londres, n’a-t-il pas oublié les services que M. Duchâtel lui avait rendus dans la coalition ? Ce souvenir inquiète les amis de M. Guizot. Aussi, M. Duchâtel est étroitement surveillé ; on observe ses démarches ; on le flatte et on le menace à la fois. Le Journal des Débats fait un indiscret appel à sa loyauté. En un mot, M. Duchâtel est déjà suspect, ou, pour mieux dire, il l’est depuis long-temps, car on n’a jamais pu fui pardonner, dans le parti, une certaine liberté d’opinion et de conduite qui s’est montrée dans plus d’une circonstance.

Devant ce qui se passe, tout le monde fera une réflexion pénible. Il y a quatre mois, les meilleurs amis de M. Guizot le pressaient vivement de se retirer dans l’intérêt de sa fortune politique. Le conseil était sage. En effet, la retraite était alors un bon calcul. En se retirant avec une majorité légale, mais insuffisante pour gouverner, on obéissait librement aux conditions du régime représentatif. M. Guizot sauvait sa dignité et celle de son parti. Aujourd’hui, volontaire ou non, la retraite de M. Guizot ne sauve rien. Un ministère qui a essuyé tous les échecs que nous avons vus depuis quatre mois,