Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
56
revue des deux mondes.


beaux de Memphis, dont quelques-uns ont été sculptés avant l’invasion des pasteurs.

La conquête des Perses est un évènement du même ordre, mais qui a dû produire des effets bien moins désastreux, puisqu’elle n’a été oppressive que pendant quatre ou cinq années, sous Cambyse et sous Ochus, aux deux extrémités de la période persane.

En terminant, je citerai un témoignage historique de la plus grande valeur, qui résume et confirme tous ces résultats. Il s’agit de celui de Platon, dans deux passages bien souvent cités, mais dont on n’a point encore fait l’usage que je vais en faire ; ils seront, pour l’époque qui a suivi le règne de Darius II, ce que le témoignage d’Hérodote a été pour l’époque antérieure.

Au livre VII des Lois, Platon dit en général que, chez les Égyptiens, il n’était permis de rien innover dans les fêtes, les cérémonies religieuses, les danses sacrées, les hymnes ; que toute innovation était punie par les prêtres, armés de l’autorité des lois et de la religion. Au livre II, il parle de cette même fixité qu’on observait dans toutes les productions des arts. Après avoir dit qu’en tous pays, excepté en Égypte, on permettait d’innover sur ces différens points, il ajoute : « Il y a long-temps, à ce qu’il semble, qu’on a reconnu, chez les Égyptiens, la vérité de ce que nous disons ici… En effet, quand on a exposé les modèles dans les temples, il n’est permis ni aux peintres, ni à aucun de ceux dont le métier est de représenter des formes quelconques, de rien innover ou de s’écarter en quoi que ce soit de ce qui a été réglé par les lois du pays. Cette défense subsiste maintenant et pour ces représentations et pour tout produit des arts. Aussi, quand vous y faites attention, vous trouvez que les peintures ou les sculptures faites depuis dix mille ans (et ce n’est point ici une manière de dire, c’est un nombre réel), vous trouvez qu’elles ne sont en rien ni plus belles ni plus laides que celles qui ont été faites de nos jours, et qu’elles sont travaillées selon le même art. »

Voilà l’impression que produisaient sur Platon les œuvres de l’art égyptien, cinquante années seulement avant l’arrivée d’Alexandre. Quoique le philosophe nous avertisse de prendre à la lettre ses dix mille ans, et de n’y pas voir seulement l’expression d’un nombre indéfini, nous n’écouterons pas l’avis qu’il nous donne, par la raison que les annales égyptiennes elles-mêmes ne comptaient qu’environ cinq mille ans pour la durée totale de l’empire égyptien, depuis Ménès jusqu’à notre ère. Platon suit donc en ce moment cette chronologie fabuleuse des prêtres égyptiens, qui ne regardaient guère à une myriade d’an-