Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/609

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

systèmes des écoles de l’Allemagne. Pour nous, en attendant que nous puissions consacrer un article spécial à l’ouvrage de M. de Rémusat, nous en citerons un fragment qui nous a paru le plus propre à intéresser nos lecteurs. C’est, dans la vie d’Abélard, cet épisode fameux qui, pour beaucoup de lecteurs, compose toute son histoire. C’est le récit étrange et passionné de ses amours et de ses malheurs.




On aime à se représenter l’existence d’Abélard, ou, comme on l’appelait, du maître Pierre, à cette époque de sa vie, au milieu de cette ville de Paris qu’il remplissait de son nom. Paris, ce n’était guère alors que la Cité. Sur cette île fameuse, qui partage la Seine au milieu de notre capitale, se concentraient toutes les grandes choses, la royauté, l’église, la justice, l’enseignement. Là, ces divers pouvoirs avaient leur principal siège. Deux ponts unissaient l’île aux deux bords du fleuve. Le Grand-Pont conduisait sur la rive droite, à ce quartier qu’entre les deux antiques églises de Saint-Germain-l’Auxerrois et de Saint-Gervais, commençait à former le commerce, et qu’habitaient les marchands étrangers, attirés par l’importance et la renommée déjà considérable de la Lutèce gauloise. C’étaient eux qui devaient, confondus sous le nom d’une seule nation, le transmettre à une partie de cette ville nouvelle qui allait s’appeler le quartier des Lombards. Vers la rive gauche, le Petit-Pont menait au pied de cette colline dont l’abbaye de Sainte-Geneviève couronnait le faîte, et sur les flancs de laquelle l’enseignement libre avait déjà plus d’une fois dressé ses tentes. Les plaines voisines se couvraient peu à peu d’établissemens pieux ou savans, destinés à une grande renommée ; à l’est, la communauté de Saint-Victor venait d’être fondée ; à l’ouest, la vieille abbaye de Saint-Germain-des-Prés attestait, dans sa grandeur, le souvenir de ce saint évêque de Paris dont la mémoire le disputait à celle de saint Germain d’Auxerre, car les deux plus anciens monumens de Paris sont dédiés au même nom. Là aussi, la jeunesse de la ville, et ces écoliers, ces clercs qui n’étaient pas tous jeunes alors, venaient sur des prés, devenus des lieux historiques, chercher les exercices et les rudes jeux qui convenaient à la robuste nature des hommes de ce temps. Leur résidence était surtout dans le voisinage du Petit-Pont, et leur foule, toujours croissante, ne pouvant tenir dans l’île, s’était répandue sur le bord de la rivière, au pied de la colline, qui devait par eux s’appeler le pays latin, et opposer, d’une rive à l’autre, la ville de la science à la ville du commerce.