Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/599

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

royauté. Il n’était pas possible de tolérer plus long-temps des hostilités qui, venant de la part d’un ministre, avaient plus d’une fois déjà ébranlé dans la chambre des lords la majorité ministérielle, et qui, d’ailleurs, diminuaient la force morale du gouvernement en le présentant comme divisé. Le soir même du jour où fut close la session, le 16 juin, le chancelier fut destitué, et les sceaux furent mis provisoirement en commission. Ainsi tomba ce singulier personnage, qui, long-temps soutenu par la faveur du roi, avait réussi pendant huit ans à se maintenir, contre un chef de cabinet aussi impérieux que Pitt, dans un antagonisme permanent dont on essaierait en vain de rattacher le principe à un système ou à un plan suivi.

Pitt, en même temps qu’il se débarrassait de cet obstacle, aurait voulu, dans la situation si grave où était le pays, rallier au pouvoir tous les amis de la constitution et du trône. Des paroles de conciliation furent portées, par l’intermédiaire de Burke, aux chefs du parti whig. On les invitait à entrer dans l’administration, où des arrangemens auraient été pris pour leur ménager des places convenables ; mais Fox, aussi intraitable qu’au temps de la coalition, persistait à exiger que Pitt cessât d’être le chef du cabinet. La négociation fut rompue. Burke et ses amis, Windham et Elliot dans la chambre des communes, le duc de Portland, lord Fitzwilliam, lord Spencer dans la chambre des lords, bien que décidés à soutenir désormais le ministère pour la défense de l’ordre social et politique, ne crurent pas pouvoir s’associer complètement à leurs anciens adversaires. En rompant avec les hommes dont ils avaient été les alliés pendant tant d’années, ils répugnaient à accepter des faveurs et des emplois qui eussent fait suspecter leur désintéressement. Le duc de Portland, dont le caractère faible et indécis n’avait pas encore secoué complètement l’influence de Fox, refusa même l’ordre de la Jarretière qui lui fut alors offert. Le seul lord Longhborough accepta quelques mois après les sceaux de la chancellerie.

Pitt ne négligeait rien de ce qui pouvait lui faire des partisans. Dès le commencement de son ministère, ses ennemis lui avaient reproché de prodiguer les faveurs et les dignités. Cette accusation, qui d’abord n’était que la reproduction banale d’un de ces lieux communs d’opposition applicables, dans une certaine mesure, à tous les cabinets, parut avoir plus de fondement lorsque l’extrême difficulté des circonstances l’eut conduit à considérer comme le plus impérieux de ses devoirs celui de créer des défenseurs à la monarchie menacée. A partir de ce moment, on le vit distribuer avec profusion, aux hommes dont il voulait stimuler le zèle ou acheter le concours, les emplois, les commissions,