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transformer en espions et en dénonciateurs les magistrats chargés de veiller à la paix intérieure. Grey se signala par la virulence de ses déclamations contre le chef du cabinet : selon lui, toute la carrière de Pitt n’avait été qu’un tissu d’inconséquences, d’affirmations et de rétractations ; jamais il n’avait proposé une mesure sans avoir l’intention de tromper la chambre ; il avait tout promis, et n’avait rien tenu ; courant sans cesse après la popularité, il ne s’était jamais soucié de la mériter, et dès son premier pas dans la vie politique, on avait vu en lui un apostat complet, déclaré. Fox ne s’exprima pas avec beaucoup plus de modération. Pitt repoussa avec hauteur des attaques trop peu mesurées pour qu’elles pussent l’atteindre, et prouva facilement que les dissentimens profonds survenus entre les whigs n’étaient pas le fruit de ses intrigues. L’amendement de Grey fut rejeté, et l’adresse passa ensuite sans division.

Une adresse tout-à-fait identique fut votée par la chambre des pairs. Lord Grenville, qui y dirigeait le parti ministériel, dénonça les complots ourdis par les sociétés révolutionnaires pour corrompre l’armée de terre et de mer. Le duc de Portland et les autres pairs connus pour recevoir les inspirations de Burke se prononcèrent comme lui en faveur du cabinet, et, ce qui n’était pas moins important, le prince de Galles, prenant pour la première fois la parole, combattit un amendement analogue à celui de Grey, que lord Lauderdale avait proposé et, qu’appuyait le marquis de Lansdowne. L’attitude nouvelle prise subitement par l’héritier de la couronne prouve combien la situation commençait à paraître dangereuse.

Le dernier acte remarquable de cette session fut un bill dont l’objet était de donner à l’amortissement une organisation permanente et de poser en principe qu’à l’avenir on en augmenterait toujours le fonds dans la proportion des emprunts qui viendraient à être contractés. Ce bill, proposé par Pitt, fut fortement attaqué dans la chambre des lords. Le chancelier lui-même le combattit comme une œuvre d’arrogance et de présomption, comme un ridicule témoignage d’ineptie et de vanité, comme une tentative impuissante pour enchaîner les parlemens à venir. Ce langage si étrange de la part d’un membre du cabinet était devenu en quelque sorte habituel dans la bouche du chancelier, toutes les fois qu’il trouvait l’occasion d’épancher la haine inexplicable dont il était animé contre Pitt. Dans la discussion d’un autre bill qui réservait à la production du bois de construction pour la marine une forêt jusqu’alors abandonnée aux chasses royales, on l’entendit encore reprocher à ses collègues d’avoir trompé le roi et surpris sous de faux prétextes son consentement à un acte qui dépouillait la