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fit la proposition formelle d’écarter, comme étrangères à l’objet du débat, ces interminables dissertations sur les affaires d’un pays voisin. Alors commença entre les deux chefs des whigs cette lutte mémorable qui a laissé un si grand, un si profond, un si touchant souvenir. Fox, partagé entre l’entraînement de son cœur et l’ardeur de la lutte, essaya de ménager, de conserver l’ancien ami en combattant l’adversaire politique. Il rappela avec complaisance, avec sensibilité, que Burke, déjà illustre lorsqu’il était entré lui-même dans la carrière parlementaire, y avait protégé ses premiers pas et lui en avait plus appris par ses entretiens que tout ce qu’avait pu lui enseigner l’étude du monde et des livres. Il invoqua éloquemment les souvenirs de leur longue confraternité, de tous les combats qu’ils avaient livrés, de tous les vœux qu’ils avaient formés ensemble, pendant la guerre d’Amérique, pour la cause de l’indépendance et de la liberté. L’esprit ulcéré de Burke ne voulut voir, dans ces souvenirs ainsi rapprochés, qu’une accusation d’inconséquence ironiquement cachée sous l’apparence d’une effusion de tendresse, qu’une cruelle injure de l’homme qu’il avait long-temps regardé comme son meilleur ami. Il déclara avec une éloquence solennelle que leur amitié était pour jamais brisée. Fox, les larmes aux yeux, ému au point de ne pouvoir parler pendant quelques instans, tenta encore de faire révoquer cet arrêt ; mais, comme il essayait d’expliquer les paroles qui avaient tant offensé Burke, il se trouva insensiblement et comme malgré lui conduit à des récriminations qui donnèrent au débat un nouveau degré d’amertume. Il fut bientôt évident pour tout le monde qu’une réconciliation n’était plus possible. La chambre était attentive, silencieuse, livrée à une pénible anxiété. Tous les partis, s’oubliant en quelque sorte eux-mêmes, semblaient confondus dans une douloureuse émotion à l’aspect de ce déchirement de deux nobles cœurs. Pitt lui-même, respectant, partageant peut-être la sympathie universelle, n’intervint dans le combat engagé entre ses deux plus redoutables rivaux que pour le modérer par la gravité de son langage. Jamais peut-être le beau côté des passions humaines, jamais l’ascendant assuré aux grandes aines, aux puissantes intelligences, ne se sont manifestés, dans une assemblée publique, avec un éclat plus imposant. Après cette mémorable séance, le bill dont la discussion avait servi de prétexte à un éclat depuis long-temps inévitable, fut adopté sans beaucoup de difficulté. L’organisation constitutionnelle proposée pour le Canada fut votée par les deux chambres.

Deux résolutions furent prises cette année par la chambre des communes,