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depuis plusieurs années déjà, il s’était fait une place considérable par l’élévation de son esprit, la gravité de son langage et son rare talent de discussion. Peu de temps après, Pitt le fit entrer à la chambre des lords. Suivant les uns, il voulait l’opposer au chancelier qui, tantôt ouvertement, tantôt par de sourdes intrigues, y contrariait les projets du chef du cabinet ; suivant d’autres, ce qui détermina Pitt à l’éloigner de la chambre des communes, c’est précisément l’influence qu’il y avait prise et qui pouvait inspirer au roi, à qui il plaisait beaucoup aussi, la pensée de le mettre à la tête d’un autre ministère dans le cas où il viendrait à se fatiguer du cabinet alors existant. Le nouveau ministre devait être, dans les circonstances difficiles qui allaient bientôt se présenter, un utile et puissant auxiliaire de la politique de Pitt ; mais plus d’une fois aussi il devait, par son caractère hautain et son opiniâtre volonté, entraver et compliquer cette politique.

Cependant de grands évènemens venaient d’éclater en France. Les états-généraux réunis à Versailles s’étaient transformés en assemblée nationale, et, enlevant au roi la souveraineté, ils fondaient la liberté française sur des bases démocratiques que ne tardèrent pas à ensanglanter de premiers crimes précurseurs de ceux qui, trois ans après, épouvantèrent le monde. Bien que les esprits les plus perspicaces ne pussent prévoir encore l’immense influence que ces évènemens exerceraient sur l’Angleterre, ils produisirent dans ce pays une vive impression. Le premier sentiment fut celui d’une sympathie universelle en faveur d’une nation qui secouait le joug d’un despotisme dont les préjugés britanniques s’étaient toujours exagéré la pesanteur ; mais cette unanimité d’approbation dura peu. Bientôt les meurtres commis par les révolutionnaires parisiens, les outrages, les violences dirigés le 6 octobre contre les personnes royales, et plus encore peut-être les principes de démocratie absolue sur lesquels on établit la nouvelle constitution, principes si contraires au génie des institutions britanniques, produisirent dans beaucoup d’esprits une forte réaction contre la révolution française. Non-seulement les tories, mais une portion nombreuse des whigs, commencèrent à la considérer avec une défiance inquiète qui se changea bientôt en une hostilité déclarée. Au contraire, les whigs les plus ardens, ceux qui étaient déjà disposés à désirer des réformes radicales, accueillirent avec empressement, avec enthousiasme, les adeptes que leurs doctrines trouvaient tout à coup dans un pays voisin jusqu’alors soumis au pouvoir absolu. Réunis dans un club qu’on venait d’organiser en commémoration des grands souvenirs de 1688, et qui s’était intitulé