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Ce seul fait nous révèle assez clairement que l’Égypte, soixante-dix à quatre-vingts ans après Hérodote, et cinquante ans avant Alexandre, était telle que l’historien l’avait déjà trouvée, c’est-à-dire, telle qu’elle était avant l’arrivée de Cambyse, et en effet ses institutions, respectées, nous l’avons vu, par les Perses, ne pouvaient déchoir sous l’empire de ses rois indigènes.

En 344, douze années seulement avant l’arrivée d’Alexandre, les Perses recouvrèrent la possession de l’Égypte après une lutte opiniâtre, et la gardèrent pendant les douze années qui forment la durée de la trente-unième dynastie, la seconde persane, selon Manéthon. L’Égypte fut conquise par Artaxercès III, dit Ochus, qui se comporta avec non moins de cruauté que Cambyse lui-même. Il voulut réduire enfin les différens peuples qui s’étaient soustraits à l’empire des Perses. Après avoir soumis Cypre et la Phénicie, il marcha contre l’Égypte à la tête de forces considérables. Le roi Nectanébo, fils de Tachos, vint à sa rencontre ; il fut battu et obligé de se réfugier en Éthiopie[1]. Le roi de Perse, irrité de cette résistance, punit les Égyptiens avec la plus grande rigueur ; il abattit les murailles des villes principales, pilla les richesses des temples, enleva même les livres sacrés, et, pour se venger de ce que les Égyptiens l’appelaient un âne[2], il voulut diviniser cet animal. Après avoir tué et mangé le bœuf Apis avec ses amis[3], il en fit autant du bouc adoré à Mendès[4]. Son favori Bagoas, Égyptien de naissance, finit par concevoir une haine si furieuse contre ce prince, qu’il le mit à mort, donna sa chair à manger aux chats[5], et fit, avec ses os, fabriquer des manches de poignard. Il mit en sa place Arsès, qui ne régna que de nom ; puis, deux ans après, il le fit assassiner pour élever sur le trône Darius Codoman, qui réussit à s’en défaire pour prévenir ses embûches ; mais auparavant Bagoas avait fait rapporter en Égypte les livres sacrés qu’Ochus avait enlevés des temples. Aussi les Égyptiens restèrent en repos jusqu’à l’arrivée d’Alexandre, qui eut lieu trois années seulement après la mort de Bagoas.

La cruauté passagère d’Ochus ne put avoir d’autre résultat que celle de Cambyse, c’est-à-dire la mutilation et le pillage de quelques monumens,

  1. Diod. Sic., XVI, 51.
  2. AElian., Hist, var., VI, 8.
  3. Plut., Isid. et Osirid., § II, p. 355.
  4. Anonym., ap. Suid., voce.
  5. Diod. Sic., XVII, 5. — Un auteur anonyme prétend qu’il en mangea lui-même. (Suidas, voce.)