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étaient universellement considérés comme une branche de commerce absolument équivalente à toutes les autres, et aucune voix ne s’élevait contre les gouvernemens qui, à la fin d’une guerre heureuse, stipulaient, parmi les conditions de la paix, les moyens de s’en assurer les bénéfices. Cependant l’examen philosophique, qui, de plus en plus, soumettait à son tribunal toutes les institutions existantes, avait fini par se porter aussi de ce côté. L’attention s’était éveillée sur les cruautés inséparables de l’enlèvement des malheureux nègres arrachés violemment à leur famille et entassés sur d’étroits navires où un grand nombre d’entre eux périssaient presque étouffés pendant la traversée, tandis que la plupart des autres allaient trouver, sous un climat étranger, au milieu de pénibles travaux, une mort plus lente et non moins cruelle. Un homme dont la physionomie morale se détache d’une manière toute particulière au milieu des grands caractères de cette époque, Wilberforce, douloureusement ému des souffrances de ces infortunés, conçut la pensée de consacrer son existence à la défense d’une aussi belle cause. Jeune, riche, doué d’une vive imagination, d’un beau talent de parole, ami intime de Pitt, dont il avait été l’inséparable compagnon pendant quelques années, Wilberforce, si telle eût été son ambition, eût pu atteindre les plus hautes dignités de son pays ; mais les sentimens religieux les plus exaltés s’étaient emparés de son ame et n’y laissaient place à aucune pensée mondaine. Il n’avait pourtant pas renoncé au commerce des hommes, ni même à la carrière parlementaire ; mais en restant dans la chambre des communes, en continuant à entretenir avec le chef du gouvernement des relations habituelles, il ne s’était proposé qu’un seul but, celui de faire servir l’influence qu’il conservait ainsi à la défense des intérêts de la religion et de ceux de l’humanité, que son ame ardente et tendre ne sépara jamais. Dès qu’il eut acquis la conviction que la traite des noirs était un fléau pour l’espèce humaine, et par conséquent un crime aux yeux de Dieu, il n’eut plus d’autre pensée que d’en obtenir la suppression. Toute son activité, toutes ses ressources, furent dirigées vers ce but. Une société fut organisée sous sa direction pour réunir dans un centre commun des efforts d’autant plus efficaces qu’ils seraient combinés avec plus d’ensemble. De nombreuses publications, en révélant des abus jusqu’alors ignorés ou peu connus, agirent fortement sur l’opinion. Enfin, après avoir préparé les esprits, après s’être assuré le concours de Pitt, Wilberforce se disposait à porter la question devant la chambre des communes, que plusieurs pétitions en avaient déjà saisie, lorsqu’une grave maladie, causée en partie par l’excès du travail,