Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/51

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

légers tributs[1]. Ainsi, pendant cet intervalle d’environ cent vingt ans qui s’étaient écoulés depuis la mort de Cambyse, malgré plusieurs révoltes, toujours infructueuses et toujours punies, qui s’ensuivirent, elle fut traitée avec autant de douceur qu’aucune autre contrée conquise, et dans cet intervalle il est impossible de concevoir, à s’en tenir aux faits que nous transmet l’histoire contemporaine, que ce pays ait souffert d’une manière sensible dans sa religion, ses arts et ses institutions civiles.

On peut d’ailleurs facilement mettre à l’épreuve ce résultat en le rapprochant du tableau qu’Hérodote a tracé de l’Égypte. La date de son voyage peut être déterminée avec une approximation suffisante ; la combinaison de tous les faits qui s’y rapportent a permis à Fréret et à Larcher[2] de la placer vers l’an 460, ce qui tombe à peu près au milieu de la lutte des princes égyptiens contre les Perses, qui tenaient encore garnison à Daphnae, près de Péluse, et à Éléphantine, c’est-à-dire aux deux extrémités de l’Égypte. On ne pourrait opposer à cette date la mention que fait Hérodote de la fuite d’Amyrtée, et de la restitution à Pausiris et à Thannyras du royaume possédé par leur père Amyrtée et Inaros, car ce sont là des additions faites postérieurement à la narration primitive, comme on en trouve d’autres dans son histoire, qui n’a été complètement rédigée qu’après son émigration à Thurium, dans la grande Grèce, en 444[3].

Rien, dans le récit de l’historien, ne fait présumer qu’il y eût alors en Égypte le moindre changement. Les affaires civiles et religieuses y suivaient leur cours ordinaire ; l’agriculture, l’industrie, le commerce, y étaient encore florissans. On peut dire même que, dans le second livre d’Hérodote, l’antique Égypte se montre tout entière. Non-seulement soixante ans après la conquête des Perses, la religion était restée intacte, mais encore les institutions civiles qui paraissent le plus intimement liées à la nature de l’ancien gouvernement n’avaient souffert aucune altération sensible ; la division des castes était restée tout aussi distincte qu’auparavant. La classe des interprètes, créée en vue du commerce avec les Grecs, avait été maintenue par les Perses. Ceux-ci n’avaient pas touché davantage à la caste des prêtres, qui était toujours propriétaire et jouissait des mêmes prérogatives

  1. Par exemple, le revenu de la ville d’Anthylla, assigné pour les frais d’une partie de la toilette des reines. (Hérod., II, 98 ; Athen., I, 33, F.)
  2. Traduction d’Hérodote, t. VII, p. 66. — Fréret, Académie des Inscriptions, Mémoires, t. XLVII, 65, note.
  3. Dahlmann, Herodot, s. 214-, folg.