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Il y a donc beaucoup à rabattre des ravages attribués à Cambyse ; mais cet insensé eût-il pu les accomplir dans un espace de quinze mois ou deux ans au plus, il est clair qu’un règne si court n’aurait pu être qu’un de ces orages passagers dont un peuple sait bientôt réparer les désastres. On peut être assuré qu’en tout cas l’Égypte, après sa mort, ne différait en rien de ce qu’elle était à son arrivée. Voyons à présent ce que firent ses successeurs.

Lorsqu’il quitta l’Égypte pour retourner en Perse, Cambyse avait établi gouverneur du pays conquis Aryandès, dont la conduite oppressive et cruelle causa une grave révolte[1]. Darius s’empressa de la comprimer[2], afin de conserver toute la liberté de ses mouvemens pour ses expéditions projetées contre la Scythie et la Grèce ; mais dès-lors il prit à tâche de faire oublier les excès de son prédécesseur en captant la bienveillance des Égyptiens. Avec un tel peuple, le moyen le plus sûr était de montrer du respect pour sa religion, de l’estime pour ses institutions politiques. C’est ce que Darius prit à tâche de faire. Cambyse avait tué le bœuf Apis ; Darius, au contraire, arrivant à Memphis lors de la mort de cet animal sacré, assista et prit part au deuil des Égyptiens. Il alla jusqu’à promettre cent talens d’or à celui qui trouverait et amènerait un nouvel Apis. Les Égyptiens, admirant sa piété, dit Diodore, se soumirent aussitôt[3]. L’historien ajoute ces paroles remarquables : « Darius, détestant les profanations de Cambyse à l’égard des temples de l’Égypte, se distingua par sa douceur et par son attachement aux dieux du pays. Il eut de fréquens entretiens avec les prêtres égyptiens, étudia leur doctrine religieuse et les actions consignées dans leurs livres sacrés. Ayant appris à connaître ainsi la magnanimité des anciens rois et leur douceur envers leurs sujets, Darius voulut les imiter dans sa conduite, et par là il sut inspirer aux Égyptiens une telle vénération, qu’il est le seul des autres rois (persans) auxquels ils aient donné le nom de dieu, et qu’à sa mort ils lui ont rendu les mêmes honneurs qu’aux rois qui jadis possédèrent le plus légitimement la couronne. » Une telle conduite, suivie pendant un long règne de trente-six ans, put facilement réparer les malheurs passagers et partiels qu’avait pu causer Cambyse.

Hérodote confirme par un trait l’exactitude de ce tableau. Darius voulut faire placer sa statue devant celle de Sésostris, qui précédait le temple de Pthah, et entrer en partage des honneurs rendus

  1. Herod., IV, 160.
  2. Polyaen., Strateg., VII, 11, 7.
  3. Diod. Sic., I, 95.