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de tels inconvéniens ; cependant il faut bien reconnaître que toutes ces institutions de méfiance ne sauraient suppléer qu’imparfaitement à des agens probes et capables. La marine possédait à cet égard de suffisantes garanties dans la composition du personnel de ses arsenaux, et il y avait peut-être des choses plus urgentes à réclamer du gouvernement qu’une institution faite pour multiplier encore ces frottemens inutiles, dans lesquels s’absorbent tant de forces vives, et qui paralysent en partie l’énergie de la machine. Si le désordre est un grand mal, l’exagération de l’ordre et de la méthode a bien souvent des suites non moins fâcheuses. Il vaudrait peut-être mieux qu’il se perdît par an 5 ou 6 millions de notre énorme budget en essais aventureux, en installations nouvelles, que de voir proscrire, même pour le très réel avantage d’une économie considérable, des tendances qui doivent nous porter au premier rang, dès que nous saurons les favoriser et les diriger. S’il est un contrôle indispensable, ce n’est donc point celui qui doit gêner ces tendances, mais plutôt celui qui doit les stimuler. S’il est quelque chose de plus pressant que de vérifier l’apurement des comptes et l’emploi des matières, c’est de constater que l’argent de la France n’a point servi à des armemens indignes de sa puissance et faits pour compromettre son pavillon.

Mille choses contribuent à la bonne organisation d’un navire, mille détails y concourent. C’est une œuvre complexe dont la perfection ne résulte que du fini de toutes ses parties. Au point où en est arrivée la science maritime, il est impossible d’en négliger aucune, sans s’exposer à rester inférieur aux marines étrangères. Un navire à voiles ou à vapeur ne réunit les conditions propres à un navire de guerre que lorsqu’il a été apporté un soin extrême à lui assurer une marche supérieure, des évolutions faciles, une artillerie battante et dotée des perfectionnemens les plus récens. Les Anglais, et lord Palmerston le proclamait encore récemment à la chambre des communes, ont fait la dernière guerre avec des bâtimens qui étaient loin de valoir les nôtres sous le rapport de la construction ; aussi se sont-ils empressés de réparer et d’imiter ceux qu’ils nous ont pris. Le Franklin, vaisseau de 80, capturé à Aboukir, et devenu le Canopus, a servi de modèle aux plus beaux vaisseaux de la marine anglaise ; mais, depuis cette époque, nous avons transformé presque entièrement notre matériel naval, et les Anglais, de leur côté, ont multiplié, avec une louable persévérance, des essais auxquels ils ont dû des navires dont les qualités ont fait grand bruit. Rien ne nous garantit donc que nos bâtimens à voiles aient conservé sur les navires anglais la supériorité qui