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non pas de faire vite et beaucoup, mais de faire bien, non pas de faire disparaître l’infériorité numérique à laquelle nous sommes fatalement condamnés, mais de créer en notre faveur une supériorité individuelle de laquelle nous pouvons attendre d’immenses résultats : il s’agit, en un mot, de ne laisser sortir de nos ports que des navires parfaitement armés sous le double rapport du matériel et du personnel. C’est à cet intérêt majeur qu’il faut subordonner tous les intérêts factices qui nous ont commandé trop long-temps la dissémination de nos ressources ; c’est pour lui qu’il importe de constituer notre administration toute entière, en vue du service de la flotte, en vue de sa bonne et prompte organisation.

Ce n’est point ainsi, nous le savons, que les chambres ont envisagé la question : gardiennes de la fortune publique, soupçonneuses parce qu’elles n’étaient peut-être point assez éclairées sur des questions toutes spéciales, elles ont pensé que l’intérêt le plus pressant était de surveiller l’usage des fonds du budget, de recommander et d’assurer les procédés les plus économiques, de faire produire, en un mot, le plus de vaisseaux possible aux millions qu’elles votaient, et d’obtenir un compte exact de l’emploi des deniers de l’état. Cette préoccupation est assurément très légitime et très salutaire, mais ce n’est point ainsi qu’on rachètera notre infériorité numérique. Quelque contrôle qu’on établisse, quelque rouage que l’on ajoute à une administration déjà trop compliquée, il ne faudra compter au nombre des progrès réels que ceux qui se traduiront par une meilleure installation de nos navires. Sans doute, ce sera quelque chose que d’avoir introduit plus de régularité dans la comptabilité des matières, que d’avoir prévenu des détournemens de chapitres, d’avoir empêché que l’on n’armât des vaisseaux avec l’argent destiné à en construire ; mais on aura négligé le plus important si l’on n’a rien fait pour que ces vaisseaux soient mieux armés, soient mieux en état de rencontrer l’ennemi. Peut-être même serait-il à craindre, si l’on n’y prenait garde, que ce surcroît de surveillance, loin de hâter des perfectionnemens si désirables, ne vînt les entraver, et substituer une immobilité fâcheuse à cette heureuse élasticité de nos règlemens qui nous a permis de réaliser sans bruit et sans éclat tant d’améliorations de premier ordre : progrès constans et certains dont personne ne revendique la gloire, car chacun y a contribué ; œuvre discrète et dévouée accomplie à toute heure, sève invisible et lente qui monte constamment de la tige aux rameaux, et qu’on ne saurait arrêter sans flétrir l’arbre jusqu’au cœur.

Entre des mains prudentes, la faculté de contrôler ne peut avoir