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1806, jour où il prit le commandement de sa frégate, le capitaine Broke avait commencé à préparer ce glorieux dénouement à cette sanglante affaire. Bien qu’il y en eût rarement de plus promptement terminée, elle coûta au Shannon vingt-trois hommes tués et cinquante-six blessés, parmi lesquels son brave commandant. La Chesapeake, qui, par une manœuvre involontaire, avait abordé la frégate anglaise et hâté ainsi l’issue du combat, sur un équipage de trois cent soixante-seize hommes, en eut quarante-huit de tués et quatre-vingt-dix-huit de blessés. Le capitaine Lawrence et quatre de ses officiers périrent pendant l’action ou succombèrent à leurs blessures.

Il en faut venir à dire toute la vérité sur ces évènemens maritimes trop exploités peut-être par un orgueil national que l’on est cependant tenté d’excuser. Les Américains ont, dans cette guerre de 1812, montré beaucoup d’habileté et de résolution. Cependant, si, comme ils l’ont prétendu, les chances avaient toujours été parfaitement égales entre eux et leurs adversaires, s’ils n’avaient dû leurs triomphes qu’à l’intrépidité des Hull, des Decatur et des Bainbridge, il y aurait eu pour nous peu d’intérêt à ranimer le souvenir de cette lutte. Nous n’avons point à chercher de leçons de courage ailleurs que dans notre propre histoire. Ce qu’il nous faut, au contraire, bien constater et comprendre, c’est que les navires des États-Unis ont constamment combattu avec des chances supérieures, et c’est là la gloire de ce gouvernement. A une marine exaltée par le succès, mais rendue négligente par l’habitude même de la victoire, il n’opposa que des navires d’élite et des armemens formidables. C’est ainsi qu’on fait rebrousser chemin à la fortune. Ne l’oublions pas, nous qui devrons peut-être un jour consacrer l’existence de notre nouvelle marine, et venger Aboukir et Trafalgar : pour ravir la foudre aux mains de l’Angleterre, il ne faut pas nourrir d’aiglons dont la prunelle ne puisse soutenir les rayons du soleil. Dans une lutte avec cette puissance, nous avons à combattre un des peuples les plus braves de l’Europe, habitué aux efforts calmes et persévérans qui conviennent aux combats de mer ; nous avons contre nous la puissance des traditions et des souvenirs : nous devons mettre de notre côté celle d’une meilleure organisation. Les Américains étaient parvenus en 1812 à s’assurer cet avantage ; c’est vers le même but, je le répète, que doivent tendre nos efforts. Comment y arriver ? par quels moyens l’atteindre ? C’est là une dernière question sur laquelle je voudrais appeler l’attention et jeter quelque lumière en finissant.

Au point de vue où je me suis placé, on n’a plus à se préoccuper d’augmenter la fécondité de nos arsenaux, mais de la contenir ; il s’agit