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un jour dans la guerre maritime une révolution analogue à celle qui a suivi l’introduction des armes à feu dans les armées européennes, et, si l’on pouvait me garantir que la guerre n’éclatera que dans vingt ou trente ans, je me rangerais peut-être aussi parmi les partisans d’une réforme immédiate et absolue de notre système maritime. Pourtant, en présence de la situation actuelle de l’Europe, peut-on sérieusement compter sur ces vingt ou trente années de paix ? Licencier notre flotte, ne serait-ce pas nous désarmer sur le champ de bataille ? ne serait-ce pas nous dépouiller en face de l’ennemi d’un bon haubert de Milan à l’épreuve de la lance et de l’épée, pour attendre une meilleure armure qui est encore sur l’enclume ? Je ne suis point de cet avis. Que l’on batte le fer, qu’on attise la houille ; mais, tant que cette nouvelle armure ne pourra s’attacher à nos épaules, restons couverts des armes qui nous ont protégés jusqu’ici.

Cependant, je l’ai dit, c’est un fait très grave, ce doit être pour nous un regret très amer, que de nous être laissé devancer dans cette voie féconde que Fulton proposait d’ouvrir ; à la France. Notre marine à vapeur ne représente qu’une force de 19,270 chevaux ; les Anglais en possèdent déjà 30,000. Grace à cette avance, à cette supériorité déjà acquise, si nous nous bornions à faire la guerre dans la Manche, il serait à craindre qu’ils n’y eussent bientôt pris l’offensive. Ce n’est qu’en nous ménageant les moyens d’une agression lointaine que nous pouvons concevoir l’espérance de trouver quelque jour en défaut un adversaire obligé, par le développement même de son action, à disperser ses forces sur tous les points du globe. Le moment n’est point venu, comme l’a dit dans une autre occasion un illustre maréchal, le moment n’est point venu de raccourcir l’épée de la France. Puisque la vapeur ne peut convenir qu’aux mers européennes, respectons nos vaisseaux quelque temps encore ; ils sont les seuls échantillons sérieux de notre puissance, et ne pourraient être remplacés par des frégates. Respectons-les, mais sans oublier que la vapeur fait des pas de géant, et que, partageant le destin de beaucoup de belles et nobles choses, les vaisseaux s’en vont !

Prenons-y garde : nous avons 23 vaisseaux sur les chantiers ; si nous ne les mettons promptement à la mer, leur cause sera définitivement perdue, et seuls nous la défendrons encore, parce que nous serons embarrassés d’un matériel suranné représentant une valeur immense. La Ville de Paris, vaisseau de 120 canons, a été mis sur les chantiers à Rochefort en 1807 ; le Louis XIV, vaisseau du même rang, en 1811. Ces deux bâtimens demanderaient au moins un an pour être mis en état