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sagesse des gouvernemens et les nouvelles affinités des peuples, mais il était certain que le développement que nous ambitionnions devait fatalement y aboutir un jour. Aussi cette épreuve, regardée comme inévitable, qui seule pouvait nous apprendre si cette fois notre marine était née viable, si tous nos sacrifices n’étaient point faits en pure perte, l’opinion publique la désirait peut-être autant qu’elle la redoutait, et signalait de toutes parts la nécessité de s’y préparer. Quelques personnes, encore préoccupées de la triste issue de notre dernière guerre maritime, pensaient, il est vrai, que si jamais les flottes de l’Angleterre menaçaient l’existence de notre marine, nous avions des rades vastes et sûres pour la soustraire aux coups de l’ennemi ; elles croyaient qu’au lieu de compromettre de nouveau nos escadres dans une lutte inégale, il vaudrait mieux imiter la prudence de l’empereur qui, rebuté par de constans revers, n’avait maintenu nos vaisseaux armés que pour obliger nos adversaires à des blocus dont les frais énormes devaient finir par épuiser leurs finances. On oubliait que la politique de l’empereur avait deux tranchans. En même temps qu’il laissait exclure la France du vaste domaine des mers, livré sans partage à l’Angleterre, il entreprenait, ce que nous n’essaierions point d’imiter, d’exclure entièrement cette puissance du continent européen. N’embrasser que la moitié de cette politique, c’était vouloir supporter tous les frais de la guerre. Il devenait d’ailleurs douteux que le pays voulût continuer à supporter les sacrifices considérables qu’il s’était imposés, s’il n’en devait sortir qu’une marine qu’il faudrait remiser au jour du péril. Ce fut une pensée plus hardie qui présida à la nouvelle organisation de notre puissance navale. Sans s’arrêter à calculer ce que, depuis cinquante ans, nous avions perdu de commerce, de colonies, de population maritime, on se promit d’arriver un jour, non pas à dominer sur les mers, mais à nous y faire respecter même par l’Angleterre. Parmi les hommes qui acceptèrent la question ainsi posée et entreprirent courageusement de relever la fortune maritime de la France, les uns se chargèrent de préparer un matériel imposant, les autres espérèrent pouvoir suppléer à l’insuffisance de notre personnel amoindri en tirant parti des merveilleuses aptitudes d’un peuple duquel on était habitué à tout attendre. Notre flotte, que l’on conservait en partie sur les chantiers pour en éviter le dépérissement, dut se composer, sans compter les navires d’un rang inférieur, de 40 vaisseaux et de 50 frégates, soutenus par une réserve de 13 vaisseaux et de 16 frégates, dont l’état d’avancement ne devait pas dépasser les 12/24es ; 20 vaisseaux et 25 frégates durent être constamment