Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/456

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aurait recouvré quelques forces et rétabli un peu d’ordre dans ses finances, la marine, cet élément important de la grandeur nationale, attirerait de nouveau l’attention d’un gouvernement parfaitement rassuré d’ailleurs du côté de ses frontières continentales.

Dès 1822, en effet, la guerre d’Espagne donna lieu à la formation de deux escadres destinées à bloquer les côtes de la Catalogne et de l’Andalousie, et leur concours contribua puissamment, en cette occasion, au succès des opérations militaires ; mais l’utilité incontestable de leurs services, pendant cette courte campagne, ne prévalut point sur les souvenirs d’Aboukir et de Trafalgar, et notre marine porta long-temps encore le poids de ces terribles journées qui, même après un demi-siècle, semblent jeter comme une ombre mélancolique sur les pages les plus glorieuses de notre histoire. Il fallut, pour la réhabiliter complètement dans l’esprit public, que le combat de Navarin lui attirât les sympathies qui s’attachaient alors à une cause éminemment populaire. L’expédition d’Alger et celle du Tage secondèrent plus tard ce retour de l’opinion, et, long-temps avant que notre marine eût justifié sur les côtes du Maroc et sur celles du Mexique la faveur croissante qu’on lui accordait, ce grand intérêt national, protégé par les tendances généreuses qu’avait éveillées la révolution de juillet, était déjà devenu l’objet d’une sollicitude presque universelle.

Il ne faut être injuste ni envers les chambres, ni envers le pays. La France, quand elle voulut une marine, la voulut sérieusement, et, en cette occasion comme en tant d’autres, elle ne marchanda point sa grandeur. En s’engageant dans cette vaste entreprise, elle ne recula devant aucun des sacrifices qui devaient en assurer le succès : elle comprit que, pour consolider l’établissement d’une grande puissance navale, nos conditions n’étaient pas les mêmes que celles des autres peuples ; que, n’ayant pas, comme la Russie, de mers intérieures pour protéger nos progrès et les dérober en partie aux yeux de tous, c’était en face de l’Angleterre qu’il nous fallait grandir ; que, placés sous sa main et presqu’à sa discrétion, l’édifice que nous voulions élever était de ceux dont il faut jeter les fondemens dans une seule marée et sceller la base avant le retour des flots. Malgré l’apparente modération de nos vœux, quoiqu’il pût nous convenir d’accepter pour le moment une suprématie que nous avions disputée jusque-là, et de nous contenter du second rang, il n’y avait point cependant de question maritime sérieusement posée, si elle n’embrassait l’éventualité d’une guerre avec l’Angleterre et les moyens de supporter ce choc sans en être écrasé. Cette éventualité pouvait être long-temps retardée par la