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prête à agir et faite pour effacer de tristes souvenirs. Jusqu’au dernier jour, cependant, l’empereur refusa d’offrir à cette marine pleine d’ardeur et de confiance l’occasion de se mesurer avec l’ennemi. Quelques frégates obtinrent seules de sortir pour de courtes croisières, et les combats glorieux qu’elles soutinrent faisaient déjà pressentir une nouvelle ère maritime, quand l’empire s’écroula. Il tomba, mais en léguant à la France, comme je l’ai déjà dit, un immense matériel naval, une flotte dans le sens le plus étendu du mot, et une organisation militaire que nous pourrions envier encore aujourd’hui. Au mois de janvier 1815, grace à des efforts persévérans, nous avions rassemblé, de Dunkerque à Toulon, 29 vaisseaux et 17 frégates prêts à prendre la mer, 10 vaisseaux et 4 frégates à Anvers, 2 vaisseaux et 1 frégate à Gênes et à Venise : en outre, 31 vaisseaux et 24 frégates étaient en construction ou en réparation dans les ports de France, 25 vaisseaux et 8 frégates à Anvers, 6 vaisseaux et 3 frégates dans les ports d’Italie et à Corfou, de sorte que la puissance navale de la France, qui, en 1792, était représentée par 80 vaisseaux et 78 frégates, l’était encore en 1815 par 103 vaisseaux et 55 frégates.

Le traité du 30 mai 1814 n’accorda à la France que les deux tiers des navires rassemblés dans le port d’Anvers : ceux de Gênes et de Venise restèrent dans les mains des vainqueurs. Ce fut là pourtant notre moindre perte. En 1792, l’émigration nous avait enlevé les officiers habitués à vaincre sous d’Estaing et Suffren. Les évènemens de 1815 dispersèrent encore une fois notre personnel, et nos armemens se trouvèrent réduits au-dessous du nombre de navires que les royaumes de Naples et de Sardaigne regardent de nos jours comme indispensable à la protection de leur commerce et à la dignité de leur pavillon. On put croire un instant que c’en était fait à jamais de notre marine. Heureusement un pareil état de choses ne pouvait être que passager. Le système d’alliances vers lequel penchait la restauration, la grandeur maritime à laquelle nous étions parvenus sous Louis XIV et sous Louis XVI, les souvenirs de cette gloire qui semblait appartenir en propre à l’ancienne monarchie, seule gloire à laquelle l’empire n’eût rien pu ajouter, tout recommandait trop puissamment notre marine au nouveau gouvernement de la France pour qu’il restât long-temps indifférent à ses destinées. Au mois de mars 1817, le ministre de la marine et des colonies, M. le vicomte Dubouchage, avait fait connaître aux chambres que nous possédions encore 68 vaisseaux de ligne, 38 frégates et 271 navires de différentes dimensions. Avec un pareil matériel, il était évident que, dès que la France épuisée