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simple nom de Trophime. Un jour, cet enfant, voyant beaucoup de monde se diriger du même côté, voulut suivre la foule. On eut de la peine à calmer Trophime ; il voulait toujours courir avec les autres ; enfin, n’ayant pas d’autre moyen de le retenir, on fut forcé de lui dire que tout ce peuple allait voir périr Lally, et que Lally était son père. Trophime, devenu le comte de Tollendal, se rendit célèbre par son amour filial ; il avait une ame noble et un beau talent, qu’il consacrait à la défense des honnêtes gens injustement accusés ; mais, quoique l’Europe entière ait applaudi à son dévouement, quoiqu’il ait généreusement rempli son emploi de curateur à la mémoire de son père, il n’est pas vrai qu’il soit parvenu à la faire réhabiliter par le parlement. A la veille de la révolution, le comte de Lally-Tollendal, appuyé par la cour et par la noblesse, était parvenu à faire inscrire dans un arrêt du conseil, qui avait cassé le dernier arrêt du parlement de Dijon, une disposition qui non-seulement le casse, mais l’annule. Cette disposition était contraire à toutes les lois alors existantes, et, si la révolution n’était pas survenue, les réclamations du parlement auraient certainement prévalu. Au surplus, ce corps survécut peu à la condamnation de Lally, et n’eut sous Louis XVI qu’une résurrection éphémère. Quant à la compagnie des Indes, elle s’éteignit bientôt pour ne jamais renaître.

Si le parlement se montra plus que sévère dans cette circonstance, la cour le surpassa en rigueur, car c’était à elle qu’appartenait le droit de grace. Quoique M. de Lally-Tollendal, souvent plus fidèle aux sentimens d’un fils qu’aux devoirs d’un historien, nous ait montré le duc de Choiseul[1] demandant à Louis XV la grace du général Lally, le ministre, nous en avons la preuve, se montra plus inflexible encore que le monarque. Choiseul venait de faire des réformes importantes dans les départemens de la guerre et de la marine. Il crut qu’une leçon terrible contribuerait à rétablir la discipline, perdue sur mer et sur terre, et qu’en effet il parvint à rétablir, car c’est à l’impulsion donnée par le duc de Choiseul, qu’après son ministère, sous le règne de Louis XVI, la marine française dut de réparer ses pertes et de voir à sa tête un héros, le bailli de Suffren. Peut-être aussi Choiseul voulait-il, par cette rigueur éclatante, se séparer entièrement de ses prédécesseurs, qui avaient laissé le désordre et la corruption s’établir dans les armées. La guerre de sept ans tournait à la honte de France ; la

  1. Biographie universelle, article Lally. Cet article et celui de Dupleix, qui partent de la même main, doivent être lus avec beaucoup de défiance.