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antérieur au départ de ce prince pour l’Éthiopie ; il se lie avec la confiance du prince envers l’oracle de Buto, et se coordonne surtout parfaitement avec un autre passage d’Hérodote auquel nul, ce me semble, n’a fait attention jusqu’ici. L’historien nous dit que, selon les Perses ; c’était réellement à Cambyse qu’Amasis envoya la fille d’Apriès ; mais les Égyptiens, ajoute-t-il, font une autre histoire, car ils prétendent que c’était Cyrus, non son fils Cambyse, qui fit demander en mariage la fille d’Amasis, en sorte que Cambyse fut, non le mari, mais le fils de la fille d’Apriès. En cela, dit l’historien, les Égyptiens pervertissent la tradition afin de s’approprier Cambyse, d’en faire un des leurs[1]. Or, cette singulière prétention de déranger l’histoire pour faire de ce prince un Égyptien est tout justement celle qu’ils manifestèrent deux siècles plus tard en faveur d’Alexandre, quand ils imaginèrent que Nectanèbe, leur dernier roi, au lieu de s’enfuir en Éthiopie, comme on le disait, s’était réfugié à la cour de Philippe. Là, avec l’aide de la magie, il séduisit Olympias, dont il eut Alexandre[2]. Au moyen de cette fiction, Alexandre devint alors un roi de la race égyptienne.

Il paraît donc que les Égyptiens, forcés de courber la tête sous un joug étranger, essayaient de consoler leur orgueil national en faisant croire aux autres et en s’efforçant de croire eux-mêmes que les vainqueurs étaient des rois légitimes qui régnaient et par droit de conquête et par droit de naissance.

Toutefois, si Cambyse leur eût fait tout le mal qu’on lui attribua plus tard, s’il eût persécuté leur religion, s’il ne l’eût pas ménagée, au moins dans le commencement, et ne s’y fût pas même associé, ainsi que l’atteste le monument cité, on peut croire qu’ils n’auraient pas tenu à se l’approprier, comme le dit Hérodote. Il y a lieu de penser en conséquence que les Égyptiens, lui tenant compte de ce qu’il avait fait avant ses accès de folie, ne virent plus en lui qu’un esprit malade qui méritait moins de haine que de pitié.

Quel motif en effet, avant qu’il eût perdu tout-à-fait le sens, l’aurait porté non-seulement à mutiler les temples, mais à détruire les arts de l’Égypte ? Ces arts, il les aimait, il en sentait la supériorité sur ceux de l’Asie, puisqu’il fit transporter en Perse une multitude de statues égyptiennes, dont on dit que Ptolémée Évergète rapporta deux mille cinq cents en Égypte, et que son premier soin fut d’envoyer dans ses

  1. Hérod., III, 2.
  2. Sur cette fiction, qui doit dater du vivant même d’Alexandre, voyez ma Statue vocale de Memnon, p. 82.