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en outre le dessein de purger l’Inde de tous les spéculateurs financiers ou politiques, et, comme il avait la parole vive et haute, ce langage flatta la compagnie dans ses penchans les plus intimes. Devenu le candidat des directeurs et des actionnaires, Lally partit avec des pouvoirs illimités et des plans arrêtés d’avance, dépourvu d’ailleurs de toute notion sur la politique de l’Asie, et croyant pouvoir appliquer à cette contrée les idées qu’il avait acquises dans les guerres continentales. Lally s’était distingué dans les rangs français à Fontenoy, dans ceux de Charles-Édouard en Écosse ; il avait beaucoup de valeur et d’esprit ; mais, par la ténacité de ses préjugés, par l’exagération d’une énergie poussée jusqu’à la violence et souvent jusqu’à la cruauté, au lieu de marcher au triomphe, il marchait à la défaite et au supplice.

N’oublions pas cette fin terrible ; qu’elle nous rende indulgens pour les fautes de Lally, qui furent grandes, et cela dès le début. Son malheur ne fut ni moins étendu, ni moins prompt que ses fautes. Un présage funeste l’accueillit à son entrée en rade ; les canons qui lui firent le salut étaient, on ne sait comment, chargés à boulet ; il en reçut cinq dans son vaisseau. A peine arrivé, il se brouilla avec Leyrit, gouverneur de Pondichéry, qu’il insulta follement. Sans attendre ni le Te Deum accoutumé, ni aucune des formalités d’usage, il déclara qu’il voulait partir le jour même pour le siège du fort Saint-David. Rien n’était prêt. L’impatience le gagna ; ne trouvant pas assez de bras pour transporter l’artillerie devant Saint-David, il y fit travailler les habitans de la ville sans distinction de castes, accouplant le brahme au paria, le kchatria au sudra. Qu’on juge de l’indignation des indigènes ! C’était pis que de la tyrannie, c’était un sacrilège ; mais Lally ne s’en doutait pas, et n’écoutait personne. Il mit le comble à sa démence en faisant briser les statues d’une pagode vénérée, dans l’espoir d’y trouver des diamans et des roupies. Creux en dedans, vils en dehors, les simulacres tombèrent avec scandale et sans profit. Des brahmes accouraient éperdus pour sauver ou pour embrasser leurs dieux ; Lally les prit pour des espions, et les fit attacher à la bouche de ses canons. Dans le trouble de sa pensée, il courait de Pondichéry à Saint-David, et de Saint-David à Pondichéry, ramassant les Indiens, gourmandant les Européens, accusant le conseil supérieur de corruption et de lâcheté. Toutefois, son activité ne fut pas d’abord complètement stérile : il prit Saint-David, Divicottah et Gondelour ; mais là s’arrêta son heureuse fortune. Tout lui faisait obstacle, le manque d’argent, d’approvisionnemens, de matériel, et, plus que le reste, l’incertitude et l’incohérence de ses résolutions. Tantôt il