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peut être entièrement écarté. Eh bien ! s’il est vrai que Dupleix fut accessible à une passion si indigne de lui, il ne l’a ressentie qu’une fois, et son ame, un instant abaissée, s’est redressée de toute sa hauteur naturelle au souffle des pensées généreuses et au contact des nobles actions.

La véritable passion de Dupleix était un amour peut-être excessif pour la grandeur et la gloire de la France. Le zèle le dévorait, ce zèle si hautement proscrit de nos jours ! Pas de zèle ! nous a-t-on dit, c’est-à-dire pas de patriotisme, pas de sacrifice, pas de dévouement. Cette théorie, que nous avons le bonheur de voir en plein rapport, n’existait alors qu’en germe ; elle pénétrait déjà dans les cœurs pour les glacer et pour les rendre faibles devant le péril. On n’osait encore l’avouer, on ne la mettait pas en maxime ; mais déjà on la cultivait avec amour, on la pratiquait en conscience. Cependant Dupleix ne la connaissait pas ; il vivait depuis trop long-temps hors de l’Europe. Son inexpérience fut sa perte. Cette perte était consommée ; il le savait, et pourtant il ne se démentit pas, il ne dit pas un seul mot qui sentît l’amende honorable, il ne se repentit pas de ce qui avait fait l’honneur de sa vie. Loin de là, il n’avait qu’une pensée : c’était d’employer le peu de jours qu’on lui laissait encore dans l’Inde à achever sa tâche, et surtout à l’avancer assez dans un intervalle si court, pour rendre à ses successeurs les lâchetés plus difficiles. Leurs faiblesses, leurs fautes, leur honte, ne pouvaient qu’accroître son renom ; mais ils étaient Français, ils étaient les représentans de la mère-patrie, dont l’honneur allait périr dans ces contrées lointaines. C’était pour prévenir une telle chute que Dupleix demandait Bussy. Ne pouvant l’obtenir, il s’obstinait à rester dans l’Inde pour gagner du temps, pour prendre enfin cette malheureuse ville de Trichanopaly, qui lui avait tant de fois échappé, et qui, réduite aux abois, n’était plus qu’une proie assurée. Malheureusement, le génie de l’Angleterre l’emporta. C’était précisément lorsque Trichanopaly, investie de tous côtés, était sur le point de se rendre, c’était lorsque l’Inde allait définitivement rester à Louis XV, qu’un commissaire revêtu des pouvoirs les plus étendus entrait dans la rade de Pondichéry.

Ce commissaire se nommait Godeheu ; c’était un de ces esprits subalternes qu’on décore trop facilement aujourd’hui du nom recommandable d’hommes spéciaux, parce que, uniquement préoccupés de petits détails, ils leur subordonnent les grands intérêts, et n’ont ni une pensée politique dans la tête, ni un sentiment national dans le cœur. Godeheu tenait à cette phalange nombreuse, et y tenait par