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même, Dupleix obtint un succès notable, il enleva un convoi envoyé par les Anglais de Madras au secours du nabab Méhémet-Aly, renfermé dans Trichanopaly ; l’escorte, composée de troupes anglaises, était prisonnière. Ce coup de main heureux avait relevé les esprits ; Dupleix, pour rétablir entièrement les affaires, n’attendait plus que de l’argent et un renfort de 1,200 Français, promis depuis long-temps. Ils arrivèrent en effet, mais conduits par un commissaire nommé pour remplacer Dupleix, et envoyé de commun accord par les deux compagnies anglaise et française, avec l’ordre exprès de s’entendre, tant avec les agens de Madras qu’avec l’amiral de l’escadre britannique.

Dupleix ne fut pas étonné de sa disgrace, il s’y attendait : ses amis l’en avaient prévenu, et Duvelaër, soit de son propre mouvement, soit par ordre secret, avait écrit au gouverneur pour l’engager à demander son rappel, ou du moins un congé illimité ; mais, quoique parfaitement sûr du succès de ses ennemis, quoique bien persuadé qu’on l’arracherait à son poste, Dupleix ne voulait pas paraître l’abandonner ; il s’y croyait placé pour l’avantage et l’honneur de la France. Pénétré de sa mission, il ne se reconnaissait pas le droit de s’en désister ; pourtant il s’en serait démis volontairement à une condition : lui-même avait offert de quitter l’Inde sur-le-champ, sans regret, sans arrière-pensée, si la compagnie consentait à lui donner Bussy pour successeur. C’est dans l’intimité de la confiance qu’il écrivait à Dupleix de Baquencourt, son frère[1] : « Vous aurez lieu d’être étonné des événemens qui se passent à l’armée du Dekhan ; l’on ne peut voir rien de plus grand que ce Bussy. La lecture de ses lettres vous fera plaisir, et vous devez les communiquer à tous bons Français qui sont véritablement portés pour l’honneur et l’avantage de la nation. M… deviendra fou en lisant tout cela ; je connais sa passion pour Bussy ; il a raison, et c’est un bien grand homme. Quelle satisfaction pour sa majesté de savoir qu’au bout du monde son nom soit porté à un tel degré de grandeur ! » Ce témoignage que Dupleix rendait à Bussy, il l’avait accordé à Paradis, tombé sous les murs de Pondichéry qu’il avait si bien défendus, et c’est là ce même Dupleix dont la jalousie avait conduit La Bourdonnais à la Bastille !… On l’a dit, on l’a répété, on le croit encore. J’ignore si on a eu raison de le penser : sur la vue des pièces, je ne partage pas entièrement cette impression ; toutefois, le jugement unanime des contemporains ne

  1. Pondichéry, 18 février 1751. Dossier de Dupleix, pièce inventoriée et cotée n° 195.